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Q? LA MÉDINA DE TUNIS EN VITRINE, UN VRAI LUXE ?
Aujourd’hui, dans les vitrines, seuls les produits de luxe bénéficient de mise en valeur artistique nécessitant scénographes et stylistes (1) ; il est donc intéressant de découvrir l’application de ce principe au 32 avenue de l’Opéra (Paris), dans les vitrines de l’Office national du Tourisme tunisien (ONTT) (2).

En osant un rapprochement entre les photos de Sébastien Susset-Mirochnikoff/Christophe Cartier (3) et les personnages en terre cuite chamottée d’Anny Rossello, l’ONTT s’éloigne des clichés habituellement servis par l’imagerie touristique, force de frappe d’un tourisme de masse dont ce pays est un des champions.

La Médina est mise à nu dans ce qu’elle a de plus minéral : ses pavés martelés, la chaux blanche de ses voûtes ; et puis ses rideaux métalliques, le bois des volets fermés… L’objectif a fixé l’endroit, non pas une fois mais dix-huit. En reconstituant le rythme de la promenade, cette approche morcelée nous accompagne telle la vibration au moment de la traversée du miroir. Sublimée dans sa plasticité, la Médina s’ouvre alors aux personnages librement inspirés des dessins de Zoubeir Turki (4), surpris dans les gestes du quotidien par le modelage de l’argile rouge. Ils restituent l’humanité qui avait été ignorée au profit d’une valorisation de la forme : le musicien, le marchand d’oranges, la hannena (qui pose le henné) et la mariée, entre autres, que l’on sait habitants de ce microcosme, " fantasme de la ville ", font alors resurgir toute la mémoire de la Médina.
c La question du Patrimoine est ainsi posée dans ces vitrines comme un défi. En effet, la dialectique, née du croisement des regards sur cet espace, réintroduit la dimension du mouvement et par là même le lien avec le présent. Or, le présent n’est pas ce sur quoi repose la promotion touristique de la Tunisie, car tout présent est fait d’incertitudes. Comme l’identité, le patrimoine est une donnée en construction dont il est toujours plus aisé de valoriser les " invariants ", le palmier, la mer, le vestige romain… On le voit, ces invariants contribuent à uniformiser les destinations et à créer des amalgames approximatifs ou dangereux.

Aussi, l’audace de l’ONTT, renouvelée à quelques années d’intervalle, mérite d’être soulignée parce que, dans le domaine du tourisme, la démarche est pionnière : en 2002, les poissons en carton peint de Tosca, réalisés pour promouvoir les ports de plaisance en Tunisie, avaient été choisis pour figurer sur tous les supports de communication du 7e Salon d’art contemporain du Muséum national d’Histoire naturelle(5).

Que l’Art contemporain soit une voie pour rendre plus juste, plus vivante, plus actuelle l’image stéréotypée de cette destination à l’étiquette étroite, ne fait aucun doute.
Lorsque le succès du tourisme est porté comme des stigmates, il est urgent de travailler à rendre plus visible la riche et complexe réalité sur laquelle devrait toujours reposer l’image d’un pays.
Quand l’ONTT aura choisi de prolonger son test expérimental dans cette prestigieuse avenue, d’une capitale dont l’ambition affichée est de redevenir le pôle de l’Art contemporain, il sera peut-être alors possible de découvrir une Tunisie inconnue et surprenante… Le concept même de tourisme pourra être questionné et cela, ce n’est pas un luxe !

© mamizazu/ bee.come creations


1. En 2002, Vuitton faisait appel au metteur en scène Bob Wilson pour ses vitrines de Noël.
2. Voir Vitrines, stratégies de la séduction, Mary Portas, Thames & Hudson, Paris, 2000.
3. Les photos de Christophe Cartier & Sébastien Susset-Mirochnikoff représentent 6 des 30 panneaux (ou 18 des 90 photos) constituant l’œuvre exposée dans le cadre des Rencontres d’art contemporain de la Médina de Tunis en 2003 (www.tunisartcontemporain.com).
4. Dessins parus en 1967 dans l’ouvrage Tunis, naguère et aujourd’hui, Zoubeir Turki, adaptation française de Claude Roy et préface de Paul Sebag, STD, Tunis.
5. Catalogue du 7e Salon d’art contemporain, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 2003 (http://www.mnhn.fr).