Manifeste LETTRE AU PHILISTIN par lArtiste Moderne Accompli Nous recevons par courriel ce texte qui circule sur le web. Certains des lecteurs de Verso nen ont peut-être pas eu connaissance : nous le publions à leur intention, car il nous semble que le peintre anonyme auteur de « lultime Ready-made » fait preuve dune lucidité rare quant à la situation extraordinaire où nous nous trouvons et sur laquelle nous aurons loccasion de revenir. Verso LULTIME READY-MADE uvre dart immatérielle, gratuite et anonyme En trois parties PREMIÈRE PARTIE: LE BAISER DU PHILISTIN Monsieur le Philistin, Par la présente, jai lhonneur de vous demander de subvenir à mes besoins jusquà la fin de mes jours. En échange de quoi, je mengage à ne rien créer, ni produire, que cela soit objet ou concept, ni même à oeuvrer dans le domaine social, encore moins à proposer ma vie en exemple. Ce faisant, je deviendrai lArtiste Moderne Accompli, laboutissement de cette aventure qui débuta entre vous, Monsieur le Philistin et moi lArtiste, il y a plus dun siècle déjà, et dure encore de nos jours. Jadmets, après avoir passé tout ce temps à vous fuir, être épuisé. Dans cette course qui ma semblé, un temps, pouvoir durer indéfiniment, il ma fallu, pour calmer votre empressement à mon égard, vous abandonner dabord mon métier que javais mis des siècles à acquérir ; me défaire, pour fabriquer vos chromos, de la couleur et de la forme que jaimais tant ; de loeuvre et du talent enfin pour combler vos loisirs. Jai dû aller jusquà mamputer de toute créativité pour en nourrir les appétits de vos « créatifs ». Jen suis arrivé, pour garder ma liberté à mauto-mutiler ! Je nen peux plus. Je suis au bord de la folie. Je vous demande solennellement de me délivrer de toute obligation de produire, et, ainsi, de révéler enfin le rôle qui fût le mien dans cette affaire. Celui dincarner pour nos contemporains, la Liberté, la Gratuité, lAuthenticité, autant dire des valeurs qui vous sont à jamais étrangères. En faisant métier de refuser les principes de votre raison utilitaire, joffrais à tous les gens, déjà soumis aux impératifs de production et de consommation, un espace symbolique où ces valeurs étaient à labri de vos convoitises. Car le jour où le roi cessa dincarner le souverain et détablir le lien entre haut-delà et ici-bas, ce fut ma tâche, dans une sorte de théologie négative, dincarner lAutre, on pouvait me distinguer, en creux, au centre du contrat social lorsque Dieu en fut expulsé. Cette lutte, entre vous et moi, agissait dans les reins de chaque artiste. Elle seule, savait encore générer le Tragique, en témoigne les chefs doeuvres que vous conservez dans vos musées comme autant de trophées de chasse. De Van Gogh à Journiac en passant par Rothko, Klein ou Gasiorowski, tous les véritables artistes ont représenté pour chaque personne en particulier ce combat entre votre raison utilitaire et tout ce qui nest pas elle (que certains le nomment sacré, transcendant, ou négatif nimporte pas ici). Ils étaient les officiants dun rite laïc, lArt, qui actualisait notre viscéral antagonisme, génération après génération. Pourquoi, alors, prendrait-il fin ? Je vous lai dit, je suis vidé. Depuis trente ans maintenant je ne fais que me survivre. Dailleurs que le jeune Debord quitte le champ symbolique, notre champ de bataille pourtant bien réel, pour le champ social, sonnait comme un avertissement. Je nai pas voulu ladmettre à cette époque mais aujourdhui où vous en êtes à interpréter mon rôle pour mieux cacher ma défaite, je préfère en finir. Je vous propose cet accord comme un baroud dhonneur, dans le même mouvement qui me fera incarner lArtiste Moderne Accompli, celui qui ne vous laissera pas même une trace en pâture, vous mannihilerez de votre baiser assassin. La boucle est bouclée. Fin de la tragédie. Veuillez agréer, Monsieur le Philistin, mes plus plates salutations. DEUXIÈME PARTIE: «JE SUIS ARTISTE PARCE QUE JE NE SUIS PAS
» Précisons les rôles. Le Philistin : Très bien défini par Hannah Arendt dans le texte «la crise de la culture». Il est ce personnage historique du XIX éme siècle qui utilise lart «comme
une arme
pour parvenir socialement et séduquer en sortant des basses régions où lon supposa le réel situé, jusquaux régions évoluées de lirréel, où lEsprit et la Beauté étaient, supposait-on, chez eux. Cette fuite loin de la réalité par les moyens de lart et de la culture est importante, non seulement parce quelle donne à la physionomie du Philistin cultivé ou éduqué ses traits les plus caractéristiques mais parce que ce fut probablement le facteur décisif dans la révolte des artistes contre leurs nouveaux patrons». Il sagit donc de ce personnage historique caractérisé avec lequel les artistes ont eu à faire, cet homme entreprenant et dynamique, pas nécessairement conformiste, qui inventa léconomie politique dont le postulat principal est : à partir dun homme amoral, rationnellement soucieux de ses intérêts égoïste, on peut légitimement penser construire une société juste, humaine et bénéfique pour le plus grand nombre. Le Philistin, dont la figure est mouvante au cours du siècle, (marchand dart, critique, musée
), représentera pour moi, bien au delà des caractères habituellement associés au philistinisme, la Raison Utilitaire, qui fonde notre société. Cette société, il ne faut pas loublier, basée sur le droit et la pénicilline. (voir Alain Caillé : Critique de la Raison Utilitaire). LArtiste : La figure de lartiste peintre qui apparaît clairement, fin du XVIII ème siècle, avec lacadémie Royale, en opposition au peintre des corporations, évolua jusquà nos jours (la vocation, la bohème, lartiste maudit, lavant garde
etc. voir la sociologue Nathalie Heinich « être artiste »). Mais pour le situer paraphrasons Marcel Gauchet parlant du Christ : «Lartiste nest pas expressif seulement par les oeuvres quil a délivrées, il lest bien plus encore par la place que, de fait, il occupe par rapport à lorganisation du monde en lequel il intervient». (le « désenchantement du Monde » de lAnthropologue Marcel Gauchet) Le regardeur : nous mêmes qui naviguons entre le Philistin et Lartiste. Lensemble : Le champs symbolique dont «le monde de lart» est une partie et, où chaque oeuvre est une représentation de ce dialogue conflictuel, datée et signée. Pierre Francastel dit à propos de Vasari : «les changements profonds de compréhension sont aussi rare dans la vie des sociétés que dans celle des individus. Il faut du temps pour édifier un système, et ce système nest complet quau moment même où il cesse dêtre valable, de produire ses dernières conséquences». Voilà pourquoi, la figure abstraite de lArtiste Moderne Accompli en tant quultime conséquence de laventure de lart moderne permet, en tous cas propose, un regard rétroactif. On me pardonnera ici davancer caché derrière les mots de grands esprits mais je néchappe, je le concède volontiers, à aucun des défauts de lautodidacte. Le paradigme de lecture de lhistoire de lart moderne quimplique ce modèle opère le même retournement par rapport au paradigme courant que celui de Darwin par rapport au Lamarckisme. Je rappelle que, devant la même collection de phénomènes, tous deux étaient convaincus de lévolution des espèces, Lamarck pensait que lévidence était ce qui était fixe, en loccurrence, lespèce, et cherchait donc par quel moyen elle pouvait évoluer (cest la thèse de laccumulation des caractères acquis) alors que Darwin, et cest une révolution conceptuelle, partit de lévidence inverse. Pour lui ce qui était sûr était le changement (il ny a que des individus qui dérivent naturellement de génération en génération) et restait à comprendre et à démontrer ce qui réduit cette dérive, ce qui fixe la forme au point de faire apparaître comme une évidence le concept abstrait despèce. Il découvrit alors le rôle de la sélection naturelle. Le paradigme officiel du monde de lart est : lartiste est un découvreur, un conquérant de la liberté, il permet à lart, grâce à linvention de langages nouveaux, dintégrer des pans entiers de réalités. Le territoire de lart sétend
le concept dart est dune élasticité formidable
LArtiste va de lavant et la société, du grand public au philistin est à la traîne, peine à le suivre. Le paradigme induit par lArtiste Moderne Accompli : LArtiste vise à camper une position fixe par rapport à la société (ceci en accord avec lethnologie). Il représente la négativité, le transcendant, lau-delà du contrat social utilitaire (que cela soit Dieu, le champ inconnu de linconscient, lavenir radieux, le merveilleux, lexagéré
) et, cest bien le mouvement du Philistin vers lArtiste, mouvement dassimilation des territoires nouvellement découverts par celui ci qui le contraint, sil veut garder sa position vis à vis du corps social, à une fuite en avant. Assimilation qui advient non par un conformisme du grand nombre mais au contraire par lacceptation par une élite. Loin de toute ringardisation du Philistin, on peut dire que cette acceptation anti-conformiste lui est utile à se constituer en tant quélite (élite légitimement représentative, je nen doute pas, des valeurs de notre société). Ce qua bien perçu lArtiste moderne qui est à la fois, dépositaire des valeurs non utilitaires et dépendant du Philistin. Cest ce paradoxe qui est le moteur du modernisme en art. Cest cet intime déchirement, à chaque génération renouvelé, que les artistes vont représenter et dont les oeuvres sont des témoignages. «Dans « mille plateaux », Deleuze dit de manière très impressionnante que même les animaux qui senfuient font certaines conquêtes, que même la fuite, par conséquent, est créatrice despaces ; il ajoute que, ce faisant, lanimal sappuie sur son « milieu intérieur » comme sur des béquilles fragiles ». Peter Sloterdijk. Le premier parti que lon peut tirer de ce modèle est de dissiper lambiance anxiogène des visites de musée dart moderne et contemporain. Angoisse due au hiatus entre les oeuvres rencontrées et le discours censé en permettre lapproche. (Médiateur en art contemporain est un métier). Le regardeur, face à une oeuvre de Bram Van Velde par exemple, se verra conseillé dy apprécier la découverte, à tâtons, dun langage pictural singulier, la tentative dexprimer le plus immédiatement possible lémotion
ou encore la force de la transgression que contient cette toile (la transgression allant de soi, nul besoin de se demander pourquoi elle est nécessaire). Langoisse est si inconfortable que le regardeur finit par en sortir dun « le roi est nu, cest nimporte quoi » auquel répond un « ty connais rien, cest pas pour toi ». Or que dit lartiste à travers cette oeuvre ? « Voilà, je ne peux plus mexprimer par la belle peinture, le Philistin la tant aimée quil lutilise pour décorer ses sous-préfectures, ni par les accords de couleurs, il sen sert pour faire des rideaux et du papier peint, ni par la forme géométrique, il en tire de forts jolis meubles, ni par le dessin dont il « design » ses robots mixers ! Voilà ! voilà ce quil me reste, et ce que vous avez sous les yeux est ma tentative dexister en tant quartiste. Et, à ce moment, loin du discours explicatif ad hoc,(auquel joppose un contexte explicatif général et non une illusoire immédiateté spontanée) le regardeur peut se laisser envahir par lémotion, émotion qui tient de la tragédie grecque et du rite sacrificiel. Effectivement le roi est nu, ou pour mieux dire lartiste se dénude mais cela a un sens. En quoi, malgré cette course vers le vide suis-je encore un artiste ? (la fameuse photo de Mark Rothko méditant en face dune de ses oeuvres). Le modèle de lArtiste Moderne Accompli installe une toile de fond où chaque artiste vient donner, selon sa personnalité, sa représentation ; il donne un langage commun aux regardeurs, un critère évaluatif (pour moi essentiel mais non exclusif) pour lensemble de lart moderne qui, bien quétant précis ne hiérarchise pas les oeuvres, les artistes, les écoles. Un tel peut être plus sensible au drame de lartiste par lintermédiaire de laustérité minimaliste, tel autre par le bouillonnement de laction-painting. Les regardeurs peuvent, en tous cas, en discuter sans se jeter des «réactionnaires fascistes» et des « petit con snobinard» à la gueule. Il est évident que, plus on remonte dans le temps moins ce critère paraît flagrant. Pourtant le passage, pointé par Nathalie Heinich, dès la période impressionniste, du jugement sur les oeuvres à celui sur loeuvre entière de lartiste (la signature), sinscrit dans cette direction, vers la question : quelle est la place de lartiste ? Par le respect de lauthenticité de lartiste et la place première quil accorde aux oeuvres, le modèle de lArtiste Moderne Accompli ne peut évidemment pas être sorti de la tête dun critique dart contemporain qui, pour appuyer sa position de médiateur, a besoin de postuler un relativisme fort, voire absolu, entre chaque artiste, dont il aura la charge dêtre le traducteur (traduttore, traditore). Il faut avoir, soi même, dû se débrouiller avec le sentiment impératif de vouloir être un artiste et limpossibilité, tout aussi impérative si lon veut être authentique, dutiliser des images (au sens large) rendues inaptes à émouvoir par leur utilisation dans le domaine utilitaire (design, mass média, art républicain officiel « Liberté, transgression, subvention ») pour découvrir rétroactivement le drame qui sest joué dans le champ symbolique, dans le dernier siècle. Lultime ready-made (on verra de quoi il est constitué exactement à la fin de ce texte), est bien une oeuvre de peintre, (dailleurs les premières douleurs ont étés plastiques) ; il donne à voir : son matériau est lhistoire de lart, les oeuvres, les artistes (qui parlait de post-production ?). Grâce à son éclairage inédit, cest le banal ou ce qui lest devenu, ce quon croit connaître mais quon ne regarde plus, qui est transfiguré, qui retrouve son pouvoir démouvoir. Je ne suis ni historien, ni sociologue, ni philosophe. Je voudrais tout de même sur quelques points tenter de montrer la cohérence de ma vision. Ainsi à propos des rapports entre limpressionnisme et la technique, à insister sur le rôle bénéfique de la photographie, de la peinture en tube, des découvertes de Chevreul dans linvention dun langage pictural propre à traduire la nouveauté du monde moderne, on perd de vue le fait principal qui est que limpressionniste tente de fuir ce type dhomme qui invente ces techniques et qui transforme lart et la culture en capital symbolique ou en valeurs utilitaires, décoratives. Et sil y parvient momentanément cest au prix de la perte du métier. Nicolas Wacker, grand maître de la technique picturale dira deux quils en connaissaient moins quun peintre en bâtiment de leur époque (jusque là lartiste peintre sattachait à raccourcir les temps de séchage tout en se méfiant grandement de lhuile quil savait instable. Les impressionnistes vont eux, « ouvrir » ce temps de séchage en nutilisant que de lhuile au mépris de la stabilité dans le temps de la peinture). Même si on peut replacer cette perte dans un continuum historique comme la suite logique de la revendication de la peinture à un statut dart « libéral » (en opposition à mécanique), le caractère définitif de cette perte peut être considéré comme le fait inaugural de lart moderne. Suivra la perte pour lartiste de tous ses attributs, jusquau body-art. Voilà un autre exemple du renversement doptique ou renversement de polarité quopère le modèle de lArtiste Moderne Accompli ; Picasso génie créateur par excellence, fécond, innovant
fait entrer « lart nègre » dans le domaine de lart. On peut le voir comme un enrichissement, comme un élargissement, mais il me semble plus juste dinsister sur le fait que le principal soucis était de retrouver létat desprit des créateurs de ces masques, la force et la magie dont ils ne sont que des témoins. Là encore cest une façon de mettre de la distance entre lartiste et le philistin (distance que, plus tard, le land-art reprendra au sens propre). Quant au surréalisme qui, lui, étend le domaine de lart à linconscient, jy vois surtout André Breton qui, en excluant du groupe surréaliste ceux qui se laissaient aller à la trivialité, sattachait à modeler la figure de lArtiste, quil voulait désincarnée, sorte de médium avec un monde inconnu. «La peste soit de sa faim malencontreuse et de cet absurde bouillon » (le surréalisme et la peinture. A. Breton). Même si, en anticlérical convaincu, il projette ce monde dans len deçà plutôt que dans lau-delà, son Artiste a des allures christiques (comme Van Gogh dailleurs qui lui aussi sacrifie son corps pour « être » artiste). Que ce soit Malevitch, Kandinsky ou Mondrian, on peut toujours souligner que la « silhouette » de lartiste est découpée en négatif. « Je suis artiste parce que je ne suis pas
». La pureté, limmédiateté, (la mésaventure de Malevitch avec la révolution prolétarienne le montre) était dabord une u-topie, un lieu où les artistes se sentaient protégés de la trivialité de leur époque. Et cest avec cet éclairage en « lumière noire » que leurs oeuvres peuvent être non seulement historiquement intéressantes mais aussi, actuelles et émouvantes. Passons au rôle du discours critique dans cette aventure, là aussi en prenant appui sur les oeuvres. Son rôle est dassimiler loeuvre, datténuer le vertige que procure la confrontation à une oeuvre originale, de le combler de mots et de concepts pour glacer lémotion. Prenons par exemple, loeuvre de Gina Pane, le discours critique la dénature à coups darguments positivistes tel que «expérimentation », « vise à révéler », « potentialité » laissant entendre quà limage de la science cumulative, lart est «découverte». Par la souffrance Gina Pane «explorerait lultime continent encore inconnu ». On transforme ainsi lart en un instrument de savoir. (ce que Hannah Arendt dénonçait comme étant la manière typique du Philistin dutiliser lart de manière inappropriée ; autant que dutiliser un tableau pour boucher une fenêtre). Alors que la symbolique de loeuvre de Gina Pane, si on veut bien la replacer dans la perspective du dépouillement de lartiste, na plus tant besoin de commentaire. «Un tableau doit pouvoir sortir sans sa bonne» disait Degas. Ce discours, qui arrivait une génération après loeuvre au début de laventure, y est, dès les années 60, directement incorporé. On peut voir par exemple un critique comme Restany travailler par dessus lépaule de lartiste à rendre son oeuvre inopérante. Car que valent ces niaiseries dépoque sur lart qui entre dans la vie quotidienne pour se laisser prendre par «les tables» ces tableaux pièges de Spoerri. Il suffit pour cela de recevoir loeuvre telle quelle est, sans même la connotation biblique de la Cène, cest à dire la trace abandonnée au Philistin de la présence dartistes dans ce monde (nous revoilà avec la place de lartiste). Que Spoerri soit apparemment intoxiqué par lidéologie de son époque au point de parler de ses tableaux dans les termes même du critique ne me gêne pas. Cest justement le propre dune oeuvre dart de transcender lintentionnalité de son auteur «les artistes en tant que médium ne savent pas ce quils font » Marcel Duchamp. Donc, sil y a bien une avant-garde quelque part, cest le critique qui est lavant-garde de la Raison Utilitaire. Aujourdhui cest plus simple : le discours critique est directement enseigné au futurs artistes, précédant et pré-formatant leurs esprits. Ces derniers génèrent du discours sous forme doeuvre alors que lUltime Ready-made est une oeuvre sous forme de discours. Venons en à ce moment historique nommé la fin des avant-gardes ou début du post-modernisme. Moment qui sétend sur les décennies 60 et 70. Moment décrit par Alain Caillé comme étant la généralisation et leuphémisation de lutilitarisme, moment où une «vision du monde sest objectivée » dans les termes de Debord. Moment où la Raison Utilitaire triomphante sempare à loccasion du tremblement de terre quest Mai 68 de ce qui, jusque là, était hors du champ de lutilitarisme, de ce qui nétait pas modélisé comme un attribut de lhomme rationnellement égoïste postulé par léconomie politique. Celle-ci va tenir compte, maintenant, après ce réajustement de plaques tectoniques, de la sexualité de lhomo oeconomicus : il se devra davoir une vie sexuelle épanouie, une identité sexuelle reconnue en droit quittant le domaine privé pour intégrer le domaine social. Elle tiendra compte de son altruisme, rationnellement égoïste : cest le début de lindustrie humanitaire, de sa curiosité avec lexplosion de lindustrie du tourisme, de son plaisir enfin avec lavènement de lindustrie des loisirs. Notons au passage que la philosophie esthétique arrive à point nommé pour théoriser « une conduite esthétique » (J.M. Schaeffer) apte à être calée au micron près dans les modèles mathématico-sociologiques des marchands. Il me semble important ici de parler de Guy Debord et des situationnistes. Remarquons en premier lieu que ceux qui, dans le monde de lart, aiment tant à citer Debord, maintenant quil est mort, ne sarrêtent quau détournement, dérive, situations construites, en fait à toutes ces propositions qui ont servi de passerelles entre les artistes quétaient les situs à la fin des années 50 et les agitateurs politiques quils étaient devenus en 67 au moment du scandale de Strasbourg. Ensuite, il faut bien comprendre que «la Société du spectacle» nest pas une étude sociologique, et quune phrase comme «le spectacle comme inversion concrète de la vie est le mouvement autonome du non-vivant » na aucun intérêt pour le sociologue. Cétait une théorie révolutionnaire et, en tant que telle, navait dautre but que de doter le révolté dun outil conceptuel. Il faut donc être ou avoir été viscéralement révolté pour en goûter la saveur. Quant à moi, la rencontre avec les situs quand jétais encore adolescent et bien que la révolution ne fut déjà plus de mode, a littéralement déterminé ma vie dadulte. Ce qui ne mempêche pas de la considérer aujourdhui comme fausse. « Tout ce qui était directement vécu sest éloigné dans une représentation ». « Le spectacle nest pas un ensemble dimages mais un rapport social médiatisé par des images ». « Les images se sont détachées de chaque aspect de la vie dans un cours commun où lunité de cette vie ne peut être rétablie ». Ces trois thèses sont les piliers de la théorie de Debord. On y voit que cest au nom de rapports sociaux directement vécus quil soppose au monde moderne et quil y voit sa spécificité dans la production dun système dimages. Or, il ny a jamais eu et il ny aura jamais de rapports sociaux directement vécus, ils le sont toujours par lintermédiaire dun système symbolique (que Debord, après Marx et Feuerbach, considère comme lillusion même). Le monde moderne nest en rien particulier parce quil crée un système dimages. Plus encore, les systèmes symboliques ne sont pas que le reflet passif des rapports sociaux mais interagissent avec eux pour produire des réalités nouvelles. Cest à cet endroit que se situe le travail du négatif, dans le décalage entre le champ symbolique et le champ social (paradoxalement 68 auquel les situs ont largement contribué était le dernier ajustement entre ces deux champs pour que le monde moderne deviennent cette tautologie «tout ce qui est bon apparaît, tout ce qui apparaît est bon »). Ainsi, pour exagérer le trait, les fameux théologiens qui disputaient du sexe des anges, alors que les barbares campaient aux portes de la ville, étaient bien, comme les soldats qui la défendaient, en train de façonner la réalité. En modifiant, précisant, structurant le système symbolique chrétien, ils agissaient, même indirectement, sur les futurs rapports sociaux des chrétiens. Ernst Gombrich navait donc pas à avoir honte devant ses collègues scientifiques de ces discussions interminables sur la signification de «fountain » de Marcel Duchamp. A nier que le travail du négatif se tient sur un axe vertical dans une stricte contemporanéité entre le champ symbolique, celui de lartiste (entre autre) et le champ social, Debord est obligé de le situer sur un axe horizontal, dans lavenir et de la faire sincarner dans une classe sociale (la classe ouvrière pour Marx, les cadres moyens, pauvres parmi les pauvres, pour Debord). Il est certes plus valorisant dêtre lincarnation de lEsprit Hégélien que daccepter de sêtre laissé, tout simplement, envahir par des rêves dépiciers. Car quelle est la spécificité de la société moderne démocratique ? Cest premièrement que le contrat social y est misérablement utilitaire, ceci implique donc une division du travail toujours plus poussée dune part et dautre part, lextension de la sphère sociale au moindre geste de la vie ; deuxièmement, que le système symbolique est, lui aussi, entièrement colonisé par la Raison Utilitaire par lintermédiaire de tous ses « créatifs » reléguant lArtiste, dépositaire des valeurs non-utilitaires dans une réserve isolée, loin de tout, nommée « monde de lart » voire après Mai 68 « le monde merveilleux de lart » dont le palais de Tokyo est un des parcs à thème les plus réussis. Il faut placer la scène de lArtiste, nayant plus les moyens de camper sa position, se rendant au Philistin, à ce moment historique. Cette scène a pour but de synthétiser ce qui sest réellement passé de manière diffuse. Aussi, les artistes après avoir, par habitude, continué de lancer des ismes et néo-ismes à vitesse redoublée, ont pris conscience dune rupture. Et du registre tragique, sont passés à la comédie douce amère. Ainsi Jeff Koons fait un dernier pied de nez au Philistin en lobligeant à décorer son loft New-Yorkais daffreux cockers kitch, Maurizio Cattelan samuse à mettre le critique en devoir de discourir sur un cheval empaillé pendu au plafond qui vaut un demi million de dollars, Gonzales-Torres, lui, renvoie avec une dédaigneuse élégance sa victoire au Philistin avec cette oeuvre constituée de bonbons que le regardeur est autorisé à manger. On sait que Hannah Arendt différenciait justement loeuvre dart, du loisir par le fait que ce dernier se consomme. Ce qui est remarquable ensuite, cest le foisonnement exubérant auquel on assiste. Ceci remettrait-il en jeu la validité de mon modèle ? Bien au contraire, les artistes, dit post-modernes, se comportent assez typiquement comme de nouveaux retraités : les uns sont saisis par le spleen et vaquent mollement à leurs occupations quotidiennes (laissant au critique la charge dy introduire du second degré). Ils font du thé pour les copains | Nikrit Tiravanija | Ils font la vaisselle | Ben Kinmont | Ils se marient, ils divorcent | Alix Lambert | Ils sangoissent et refont le ménage | Christine Hill | Ils regardent les ouvriers travailler | Pierre Huygue | Ils font un tour de bagnole | Jason Rhoades | Quand dautres, débarrassés enfin de la tache ingrate de figurer lArtiste, redoublent de dynamisme, de créativité. Ne simposant plus linterdit dêtre utiles ou dutiliser des chromos, ils se ruent avec boulimie dans lactivité. Le « monde merveilleux de lart » dégage ce parfum denthousiasme un peu vain que lon retrouve dans les ateliers de peinture du troisième age. Je ne remets pas en cause ici le talent des artistes, ni celui des créatifs dailleurs, mais leur rôle, la place quil leur est assignée. La question essentielle, celle que posait Marcel Duchamp avec « Fountain » était : si lArtiste peut transformer un objet utilitaire en oeuvre dart, doù lui vient ce pouvoir ontologique ? Le Philistin, semparant au passage des pertinentes réflexions du philosophe institutionnaliste, passe à coté de la question (cest bien son style) et répond sur le statut de lartiste. « Etudier le statut dartiste na pas pour but déclairer les oeuvres dart, mais dexpliquer ce statut » nous dit le sociologue (Heinich), comme si cela avait un sens. Il y a art, dit-il, quand il y a artiste et il y a artiste quand une jeune personne, après des études adaptées et si elle a du talent, est reconnue par ceux qui, inter-changeant leurs casquettes, sont tout à la fois ses professeurs, ses critiques, ses galeristes, ses acheteurs et qui forment linstitution « the wonderful artworld ». Or la question était quel est ce pouvoir et par quelle grâce lartiste le détient-il ? Parce que le corps social en son entier, le souverain de Rousseau, le lui donne, lui fixant ainsi sa place dans le contrat social, celui de se maintenir hors des normes que la société simpose par ailleurs, celui de garantir par sa seule existence dans le champ symbolique que malgré lomniprésence de lutilitarisme ce contrat préserve la possibilité dune transcendance. Et de ce fait que lhorizon ne se borne pas à manger, boire, dormir, se reproduire. Quil y a peut être un sens à tout ça. Cest son rôle, sorte de rois des fous le jour du carnaval où tout est inversé de préserver la société dun contrat social exclusivement utilitaire (qui risquerai à tout moment de virer à lutilement totalitaire). Tant que lArtiste détient ce pouvoir de « transfiguration du banal » comme dit Arthur Danto, tant quil subsiste une différence ontologique entre lobjet utile et loeuvre dart, une tension entre la positivité et la transcendance, cest la figure de lHomme qui est préservée. Cette figure qui émerge de lanonymat de lunivers symbolique chrétien ou lHomme etait voué exclusivement à lau-delà, en Italie avec Giotto, qui court jusquà nos jours et menace de sombrer (si ce nest déjà fait) dans lanonymat de lunivers symbolique marchand ou lHomme est voué exclusivement à lici-bas utilitaire : du métier de peintre à la profession dartiste. Le pouvoir de lartiste professionnel ou « créatif » comme Raymond Loewy est de changer lobjet laid, utile, en objet beau qui se vend; ce qui est fondamentalement le contraire de celui de lArtiste. Marcel Duchamp avec le ready-made, Andy Warhol avec les « boites brillo », montrent ce point crucial où il y a transsubstantiation, où se loge la « sacralité de lart ». La scène de lArtiste Moderne Accompli représente ce moment où lArtiste renonçant à son rôle, les Beaux Arts disparaissent, moment au delà duquel on quitte la période humaniste. «La question cruciale que tu posais était : est ce que mon travail est de même nature que le type dactivités que propose une entreprise de divertissement ? » « Ton « expédition », me semble til, a pour but de « libérer » le mode cognitif de ses déterminations « professionnelles »». Nicolas Bourriaud, lettre à Pierre Huyghe à propos de « lExpédition scintillante, a musical » «Si Beaux Arts Magazine crée les Arts Awards cest pour
célébrer un milieu professionnel constitué dartistes, bien sûr, mais aussi de conservateurs, de commissaires dexpositions, de directeurs de centres dart, de galeristes, de collectionneurs et de mécènes qui travaillent à élaborer les futurs chefs doeuvres de notre patrimoine ». éditorial février 2005. Tout est dit. LArtiste et le Philistin « travaillent », ils sont tous deux des professionnels qui composent ensemble ce nouveau secteur économique nommé lart. (Maurizio Cattelan peut faire ce quil veut, jamais plus il ne déstabilisera le Philistin). Tout ce qui constitue lart, (lobjet, loeuvre, lartiste, les relations internes) est devenu le matériau de base dun secteur économique. Il est donc vain, à lintérieur même de ce secteur, despérer « libérer » lactivité cognitive (la conduite esthétique) de ces détermination « professionnelle » ; vain ,dans ces conditions, despérer sauvegarder la différence ontologique entre loeuvre dart et lobjet utile (lobjet décoratif honni par Clément Greenberg où aujourdhui le divertissement hautement spirituel cher au Philistin). Je tiens ici à bien faire remarquer à tous que nous sommes daccord, lartiste, le philistin et moi-même pour considérer cette différence comme cruciale. Il est pourtant faux, blessant et inutile, de dire que lart contemporain est nul, les artistes nont ni plus ni moins de talent hier quaujourdhui, jinsiste, mais ils sexpriment dun lieu où ils ne peuvent plus assumer la part de négatif quimpliquait leur rôle. Au même titre quune collectivité dindiens dAmazonie va marquer lexceptionnel dune fête en consacrant un nombre incalculable dheures à sa préparation, largent a servi, un temps, à marquer la place exceptionnelle de loeuvre dart. Aujourdhui il nest plus quun investissement comme un autre. Et les prix pharaoniques des oeuvres actuelles sont la conséquence et non la cause de ce glissement de sens. Par lintégration de lart, la société utilitaire est devenue parfaitement lisse et pleine, offrant un service ad hoc au moindre de nos désirs, soffrant le luxe dun espace où la liberté, linutilité, la gratuité peuvent sépanouir, grâce à lartiste, au service de la communauté . Alors que celle-ci justement lui assignait le rôlede la prémunir contre une vision du monde exclusivement opératoire, construite en termes de service, serait-ce celui du bien commun. Et il ne suffit pas daccoler à cette critique le mot romantisme en y opposant un état de fait pour sen débarrasser. Reste à nos mômes pour échapper à ce bonheur insoutenable, à risquer leur vie en traversant les autoroutes ou à prendre une arme et à tirer dans le tas (geste surréaliste par excellence selon André Breton). « Il faut donc établir une distinction entre le parachèvement et la fin. Même si lère que nous avons quittée, lère métaphysique, a épuisé ses dernières possibilités, et dans cette mesure atteint le stade du parachèvement, le processus de la pensée, de laction, du vouloir nest en aucune manière arrivée à son terme ; on ne peut non plus répondre clairement ni par laffirmative ni par le refus à la question du prolongement de lévénement révolutionnaire. On ne pourrait parler de post histoire que sil était sûr que la terreur ayant fait partie de lhistoire se trouve derrière nous. Rien nest moins sûr ». Peter Sloterdijk Je suis peintre, je le répète, et les mots ne sont pas mon domaine mais la ligne générale de mon propos est assez claire, nul besoin daller dans les détails. A ceux qui se lapproprieront de létoffer de leur savoir. LUltime Ready-made par sa simplicité schématique se veut une borne de ralliement, un point de rencontre abstrait. Il veut replacer au centre du débat de société ce qui pour bon nombre de personnes nest quune querelle de chapelle (nous revoilà avec les fameux théologiens) à savoir la crise de lart contemporain. Car il est évident que si la « sacralité de lart » est à jeter aux poubelles de lhistoire, que si lHomme nest plus quune pure positivité et son art un gaz aux agréables chatoiements critiques, on ne voit pas au nom de quoi on réfléchirait notre emprise technique sur le vivant. TROISIÈME PARTIE: LULTIME READY-MADE Voilà pourquoi, tenant compte de tout cela, je me donne, moi-même, seul et anonyme récusant ainsi le pouvoir de linstitution à le faire, la Grâce dêtre Artiste, le rôle dincarner lArtiste. Ce geste artistique je le nomme lUltime Ready-made. Il prend acte du divorce entre la créativité et la négativité (lénigme ontologique de lêtre-au-monde). Il est une alternative au modèle de lArtiste Moderne Accompli car il préserve grâce à lanonymat la figure de lArtiste des convoitises de la Raison Utilitaire. En effet, cest seulement dans le coeur du dilettante que les valeurs chères à lArtiste peuvent agir encore, que la « conduite esthétique » théorisée par J.M. Schaeffer prend toute sa vertu. Cest aux gens, qui refuseront de se comporter comme des matériaux supra conducteurs au flux médiatique, dintérioriser la figure de lArtiste et son intemporel « égocentrisme » libre, inutile et gratuit pour se construire un espace intérieur (en refusant lobligation citoyenne de se tenir informé, par exemple ; lire quotidiennement une chronique dAlexandre Vialatte plutôt que le journal ?) ;ils deviendront ainsi de potentiels interrupteurs au «système de stress synchrone » qui façonne le corps social (au jeu de go, il faut « deux yeux », deux espaces vides intérieurs insécables pour constituer un territoire viable, même entouré de toute part). Que je sois un fou mégalomane ou un artiste la différence est « infra mince ». « cest le regardeur qui fait le tableau ». Et bien cest vous qui ferez de lUltime Ready-made une oeuvre ou non, en débattant de sa pertinence, en la faisant circuler sur Internet ,en vous lappropriant comme une représentation artistique rendant intelligible la période charnière que nous vivons .Ainsi une partie du corps social peut reprendre, symboliquement et publiquement, le pouvoir quelle avait délégué à linstitution informelle du monde de lart . « Ce qui nous attend, cest une ère de la construction de machines et de lexpérience approfondie de lêtre humain par lui même, face à sa faculté croissante de se refléter dans les machines supérieures et de réfléchir à la différence entre soi-même et ses créatures qui sont les siennes ». Peter Sloterdijk La catégorie socioprofessionnelle quest devenue le « monde merveilleux de lart » , en tant que cadre implicitement basé sur le déni de la nature conflictuelle du rapport entre lutilitarisme et lArt, ne permet en aucun cas lexploration critique féconde, par les artistes, des nouvelles technologies, qui aurait pu nous aider à nous défendre contre les inévitables effets pervers qu elles engendrent déjà. Sur ce thème, lUltime Ready-made est lanti-Matrix. A loeuvre hollywoodienne, très belle (le générique est un chef doeuvre du genre), issue dune haute technologie et sadressant à un public passif, correspond loeuvre constituée du geste ridicule, simple et gratuit, dun individu isolé demandant la participation active dautres individus pour exister. Il mapparaît ici, à la fin du parcours qua été la rédaction de ce texte - parcours qui a débuté avec lintuition et la création de lArtiste Moderne Accompli, qui sest poursuivi par lexploration de sa logique qui elle, ma mené à lUltime Ready-made - que celui-ci est bien ce quil voulait être : un prolongement du Ready-made. Duchamp, en créant une oeuvre à partir dun objet insignifiant, montrait que la qualité doeuvre dart était indépendante des qualités propres à lobjet ; lUltime ready-made veut lui, en accordant la grâce dêtre Artiste à un individu anonyme, montrer que la figure de lArtiste est indépendante des qualités de la personne qui lincarne, quelle ne vaut que par son existence même, par la place que, de fait, elle occupe par rapport à lorganisation du monde en lequel elle intervient. Ne tenir aucun compte du talent de lartiste est certes un artifice abstrait mais qui montre bien que désormais, à lheure des arts awards, la condition nécessaire et suffisante pour incarner la figure de lArtiste est den intérioriser la place et le rôle (ce qui nempêche ni le talent ni la créativité). Il est aussi un écho au « Grand Verre ». Ce qui est une heureuse surprise, pour moi qui ne suis pas spécialement un Duchampien comme on dit un Célinien de certains écrivants qui ont trouvé une niche écologique dans loeuvre de LF Céline. Je redécouvre en passant dencourageantes et rassurantes résonances (le caractère démesurément onaniste de lauto-proclamation et la « Broyeuse de chocolat » en tout premier lieu). Citons Marcel Proust « même dans les joies artistiques,
le petit sillon que la vue dune aubépine ou dune église a creusé en nous, nous trouvons trop difficile de tâcher de lapercevoir. Mais nous rejouons la symphonie, nous retournons voir léglise jusquà ce que dans cette fuite loin de notre propre vie que nous navons pas le courage de regarder, et qui sappelle lérudition nous les connaissions aussi bien, de la même manière, que le plus savant amateur de musique ou darchéologie. Aussi, combien sen tiennent là qui nextraient rien de leurs impressions, vieillissent inutiles et insatisfaits comme des célibataires de lArt ». Ce que, à la suite de Hannah Arendt, je nomme le Philistin, Proust le nomme célibataire, Duchamp aussi probablement. Le sujet de « la Mariée mise à nu par ses célibataires, même » est ce rapport conflictuel du Philistin et de lartiste comme moteur du processus créatif chez chaque artiste, et comme machine infernale qui en un siècle a dépouillé lArtiste de tous ses attributs jusquà en faire apparaître lessentielle nudité. Il faut voir dans le « Grand Verre » le schéma prototype mais non exclusif de toutes les oeuvres du XX ème siècle, à savoir la tentative dexpression du système de tension, intime et social, que subit chaque artiste pour incarner lArtiste. Une sorte de tragique autoportrait. « Ne comprenez-vous pas que le danger essentiel est daboutir à une forme de GOÛT, serait ce même le goût de la broyeuse de chocolat » « LArtiste joue dans la société moderne un rôle beaucoup plus important que celui dun artisan ou dun bouffon ». « Aujourdhui (vers 1920) lArtiste est un curieux réservoir de valeurs para-spirituelles en opposition absolue avec le FONCTIONALISME quotidien
». « Je dûs prendre de graves décisions. La plus dure fut de me dire « Marcel, plus de peinture, cherche du travail » et je me mis à la recherche dun emploi afin dêtre à même de peindre pour moi. (
) Je ne voulais pas dépendre de ma peinture pour subsister ». Marcel DUCHAMP Rendons au Philistin ce qui appartient au Philistin : le divertissement de lesprit, et au dilettante ce qui appartenait à lArtiste : la négativité, la Liberté, lAuthenticité, lInutilité, la Gratuité. «
la situation de la culture européenne peut se lire, entre autres, dans la manière dont on réemploie lAntiquité
La forme antique dont on a attendu le plus longtemps la répétition a été larène, le nouveau stade de sport, le cirque de la compétition
Cest le lieu de culte du fatalisme, redevenu une religion de masses
Les grands stades sont sa forme architecturale, cest à partir de celle-ci que lon peut penser, de la manière la plus concluante, la nouvelle civilisation de masse
La société totalement médiatisée constitue un unique grand stade
» Peter SLOTERDIJK En un siècle, lArt sétant figé en un pharisaïsme, on a pu voir apparaître clairement puis disparaître la figure de lArtiste. LUltime ready-made, au diable la modération, voudrait permettre par analogie de sen nourrir, den cultiver intimement lesprit rebelle ! Aux catacombes, citoyens !!!!! © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - | |