Colloque international de Ronchamp Art sacré Du contemporain en recherche déternité par Humbert Fusco-Vigné Lexigence dune rencontre a désigné, en septembre 2005, le colloque international francophone sur lArt sacré contemporain tenu à Ronchamp et réunissant une bonne centaine de participants. Le projet de cette manifestation fut de mettre en lumière le dialogue entre des acteurs à la croisée dun double dépouillement, celui de la quête spirituelle et celui de la création contemporaine. Son appellation se référait à la rencontre de 1949 entre Le Corbusier et le père dominicain Marie-Alain Couturier. Ce dernier, également peintre et artiste, avait su devenir lami et le confident des plus grands peintres et écrivains de son temps, de Fernand Léger à Picasso et Chagall, comme de Cocteau à Jouhandeau et Julien Green. Reconnu ainsi comme un acteur-clef dun renouveau de lArt chrétien, comme on disait alors, il bénéficia, dans cette initiative, de certains appuis au sein de lÉglise, dont celui, déterminant, du Père Lucien Ledeur, secrétaire de la Commission dArt sacré. Ce dernier, une fois acquis laccord de Le Corbusier, travailla longtemps et régulièrement avec lui, à Paris, dans son atelier, sur la liturgie et la dimension mariale de la chapelle de Ronchamp. Il y eut aussi Maurice Jardot qui, le 24 juin 1950, emmena un Le Corbusier sceptique visiter à tout hasard le site de Ronchamp. Jardot, personnage complexe, très à gauche en politique, à la fois inspecteur des monuments historiques puis secrétaire du galeriste Daniel-Henry Kahnweiler, connaissait et admirait Le Corbusier depuis 1938 et fit ultérieurement donation à la ville de Belfort de sa remarquable collection personnelle dart moderne. Le père Couturier animait avec le père Regamey la revue LArt Sacré qui militait, avec talent, pour un nouvel art sacré contemporain, prenant appui sur des Commissions dart sacré diocésaines rénovées. Couturier convainquit et détermina Le Corbusier, alors peu familiarisé avec le religieux - allant jusquà parler dinstitution morte à propos de lÉglise ! - à réaliser de bout en bout, de 1950 à 1955, à Ronchamp, au sommet de sa colline de Bourlémont, la chapelle de Notre-Dame du Haut, dédiée au culte marial de la mère qui, à la fois, abrite et délivre. Un choix aux sources multiples, mais en loccurrence non fortuit quand on sait la force du lien unissant Le Corbusier à sa mère. La création de Notre-Dame du Haut se fit au terme de cheminements religieux et administratifs complexes. Des intervenants du colloque ont permis den éclairer et den apprécier certains détours, en particulier Françoise Caussé, Agrégée dArts plastiques et docteur en histoire de lArt, Sarah Wilson, professeur à lInstitut Courtauld de Londres, à propos du renouveau de lArt sacré dans laprès-Guerre en France, et Annick Flicoteaux, membre de la commission diocésaine de Besançon dArt sacré et diplômée de lInstitut des Arts sacrés de la « Catho » de Paris (Institut catholique), dont lancienne directrice Régine du Charlat fut médiatrice de la première journée du colloque. Ces détours qui aboutirent à édifier Notre-Dame du Haut se révélèrent parfois aussi impénétrables que le sont les voies du Seigneur selon les Écritures. Les prélats, prêtres et autres experts en Art sacré présents au colloque eurent la charité de ne pas en rajouter et, à loccasion, den sourire, mais aussi de fournir des explications, pleines dintérêt et parfois visiblement empreintes de mansuétude. LA PERSONNALITE DE LE CORBUSIER Cette chapelle de Notre-Dame du Haut fut créée de bout en bout et en totalité par Le Corbusier qui, peu avant, avait pourtant refusé la commande dun temple protestant en Suisse. Il en surveilla et en confia lédification sur place, ratifiant certaines de ses innovations prises en urgence, à son collaborateur de la rue de Sèvres, larchitecte André Maisonnier, originaire de la région. Ce sanctuaire se révéla aussitôt comme une oeuvre exceptionnelle, vite jugée déterminante dans lart sacré contemporain, voire au-delà. La présence intellectuelle et la tension mystique attribuées à son créateur contesté et prétendu agnostique ont éclairé, parfois même inspiré, ce colloque. En louvrant, le professeur darchitecture à Strasbourg Jean-Jacques Virot rappela que Le Corbusier, sur son chantier de Notre-Dame du Haut, fut un jour provoqué par un journaliste du Chicago Tribune : Maître, comment vous, athée, avez-vous pu réaliser une chapelle ? Il répondit vivement : Monsieur, sachez et dites-le, que je ne suis pas athée. Je suis disponible. Comment dire mieux? Le Corbusier inventa le Modulor, grille de mesures harmoniques à léchelle de lhomme, en architecture. Il fut aussi linventeur de la splendide formule définissant larchitecture, hier et pour toujours, comme Le jeu correct, savant et magnifique des formes et des volumes sous la lumière. Un inspecteur des monuments historiques déclara de son côté en 1951, à propos du projet de Ronchamp : On va foutre en lair trois mille ans darchitecture ! Cest lui qui se trompait. Des articles récents, entourant notamment le livre de Jean-Louis Cohen paru en 2005 (Le Corbusier, la planète comme chantier chez Textuel/Zoé, cf. Le Monde des 28 et 29 août 2005) ont évoqué avec excès, sans se référer au contexte ni prendre la précaution dun recul historique - cest très tendance - pas mal dabsurdités, à côté de critiques parfaitement explicables quand il sagit des paradoxes de tout créateur talentueux. On a ainsi dénoncé, chez Le Corbusier, de médiocres intrigues de courtisan envers les puissants, et on a relevé une médisance antisémite accidentelle, bien sûr difficile à excuser, à légard de décideurs et financiers juifs peu accommodants, ce dont ils nont pas en effet le monopole. Autant de choses à quoi se livrent ou se laissent aller tous ceux qui doivent vivre de leurs talents, obligés quils sont de croire en eux pour créer et réaliser leurs projets, contraints aussi pour cela de réussir des concours et de se faire valoir dans les médias, ce qui est devenu la règle aujourdhui. Il faut flatter des jurys et obtenir des marchés, largent dans ces cas-là na pas a priori dodeur, surtout quand on y est contraint pour faire tourner ses entreprises et pour en faire vivre des collaborateurs. En 1927 et en 1931, à côté de réalisations remarquables, comme le seront celles qui suivirent, Le Corbusier sera évincé, par des cabales darchitectes académiques et délites rétrogrades, des concours pour le siège de la Société des Nations à Genève et celui du Palais des Soviets à Moscou. Du coup, on a attendu aujourdhui pour murmurer quil fut fasciste ou communiste, parce que, à linstar des meilleurs architectes de son temps, il a concouru et espérait construire ses créations, à une époque où lambiguïté du monde envers certains grands projets architecturaux, dans de nouveaux régimes autoritaires peu connus, ne faisait pas systématiquement vouer aux gémonies, ce qui est devenu la norme, leurs intervenants et partenaires professionnels extérieurs. Heureusement quil y eut Albert Speer « larchitecte que Hitler aimait », et au surplus son conseil et son confident, ambitieux mais prudent, pour que Le Corbusier, citoyen helvétique déducation protestante, athée, original et presque extravagant, mais rigoureux, ne se voit pas attribuer des inclinations pour le nazisme ! Je navais rien fait de religieux, mais quand je me suis trouvé devant ces quatre horizons, je nai pu hésiter (
) Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret) Créateur de la chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp (1950-1955) Sil avait possédé un tel défaut, un homme aux qualités humaines et à la foi religieuse dexception comme le fut Eugène Claudius-Petit, chrétien socialement engagé, résistant et compagnon de la Libération, ébéniste puis professeur de dessin et peintre devenu ministre de la reconstruction, ne lui aurait jamais accordé, comme il le fit, sa confiance, son amitié, une admiration éprouvée pour son génie et un appui sans faille. On pense enfin à Le Corbusier dessinant, pour son célèbre Poème de LAngle Droit (1953), cette main ouverte dont on retrouve le motif à Notre-Dame du Haut et dont il fit sienne la devise : Pleine main jai reçu, Pleine main je donne
. RONCHAMP, CHAPELLE DE "BÉTON LOYAL" TOURNÉE VERS L'ÉTERNITÉ Le colloque proprement dit fut organisé et conduit sous la houlette éclairée de Jean François Mathey, avec lappui dintervenants et danimateurs de qualité, conjugué à celui dune commission, en particulier Thérèse Willer, conservatrice à Strasbourg, et Noël Roncet, de lAssociation privée de lOEuvre Notre-Dame du Haut, qui préside au destin terrestre de la chapelle et à sa sauvegarde. Ce Colloque a marqué le cinquantième anniversaire de la création de cette chapelle posée, hors du temps et dans sa sérénité extra-terrestre, sur la colline de Bourlémont, entre les derniers contreforts du sud des Vosges, la plaine dAlsace et les collines du Jura. Ce site et son sanctuaire surplombent Ronchamp, comme pour mieux veiller sur cette petite cité industrieuse de Haute-Saône, agricole et commerçante, de tradition ouvrière et de culture minière, bref humaine. Cette communauté vivait dans un climat social difficile et mit des années à intégrer la création de Le Corbusier, aujourdhui mieux acceptée et cultivée, le nom de larchitecte étant même devenu celui dune (petite) partie de la rue principale de la ville. Le site et son église ont été, à travers les siècles, un lieu de pèlerinage établi mais souvent dévasté par la foudre, le feu et les guerres. Aujourdhui, lesplanade herbeuse de lEst du site, qui peut accueillir dix-mille fidèles en plein air, se termine, à la lisière des forêts de la colline, par un mémorial élevé avec les pierres qui restaient du chantier. Sa forme en degrés quadrangulaires rappelle les monuments mayas et leur structure cosmique puisque ses quatre côtés salignent selon les quatre points cardinaux. Un panneau discret célèbre « des Français » (Le Corbusier aurait souhaité quon y inscrive « des hommes »), essentiellement des soldats dOutre-Mer et dAfrique du Nord, qui « sont morts pour la paix » en affrontant, fin 1944, jusquau corps à corps, les troupes ennemies, notamment bavaroises, durant les furieux combats de la libération de Ronchamp contre des armées nazies à la fois en défensive et en retraite. Leffort humain propre à la montée en pèlerinage vers la chapelle et au recueillement spirituel dans le silence ont été gérés par Le Corbusier. Notre-Dame du Haut na pas vocation à devenir un Mont Saint-Michel encombré de touristes. Lorsque, en 1955, il donne les clefs de la chapelle, rayonnante comme un vaisseau de lumière, à Monseigneur Dubois, Archevêque de Besançon, il lui dit : Excellence (
) en bâtissant cette chapelle, jai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure. Le sentiment du sacré anima notre effort. Des choses sont sacrées, dautres ne le sont pas, quelles soient religieuses ou non (
) Quelques signes dispersés, et quelques mots écrits, disent la louange à la vierge. La croix - la vraie croix du supplice - est installée dans cette arche ; le drame chrétien a désormais pris possession du lieu. Excellence, Je vous remets cette chapelle de béton loyal, pétrie de témérité peut-être, de courage certainement, avec lespoir quelle trouvera en vous comme en ceux qui monteront sur la colline, un écho à ce que nous y avons inscrit . Entre des parois concaves et convexes, refusant langle droit, et sous ses trois clochers percés de multiples ouvertures, la lumière est savamment captée, soit en direct, soit au travers de vitrages colorés dont certains portent notamment des extraits du Je vous salue Marie écrits de la main de Le Corbusier, soit en la canalisant et en la rediffusant par des puits de lumière vers lautel des trois petites chapelles du sanctuaire. Notre-Dame du Haut sapparente à une Arche de pierre et de béton crépi revêtu de chaux blanche, faisant vibrer la lumière, posée sur un sommet. Elle est placée sous la majesté des voiles immenses dune toiture de béton brut, comme gonflées par le vent, et dont lhistorienne de lart et professeur darchitecture Danièle Pauly rappela que les formes furent inspirées à Le Corbusier, par la coque dun crabe trouvée sur une plage de Long Island près de New York ! En convainquant en 1949 un Le Corbusier a priori pas du tout convaincu, le père Couturier sengagea loin des pastiches gothiques et byzantins dont fut friande léglise catholique de la première moitié du XXème siècle. Il avait fait de même dans laventure de la création ou de la décoration (sculptures et vitraux notamment) déglises nouvelles, comme en 1950 celle du Plateau dAssy en Haute-Savoie, ou encore léglise du Sacré-Coeur dAudincourt, près de Montbéliard. Cest lui aussi qui convainquit Matisse de créer ce que le peintre appela son chef doeuvre, la chapelle du Rosaire à Vence, dont il se désintéressait de larchitecture dans laquelle Le Corbusier fut au contraire très impliqué, mais le cas na pas été suffisamment exploré. Vence, une création qui inspira Picasso pour sa chapelle de la paix à Vallauris et, vingt ans plus tard, Rothko, pour la chapelle de Houston aux Etats-Unis. Matisse, à Vence, réalisa ses créations avec la contribution de Monique Bourgeois, ancienne infirmière et modèle du peintre, devenue en religion la Soeur dominicaine Jacques-Marie, récemment disparue (cf. Le Monde des 2 et 3 octobre 2005). Le père Couturier fut ainsi à lorigine du renouveau de lArt sacré (1). Lenjeu nétait pas seulement esthétique mais spirituel et le colloque de Ronchamp a permis de se convaincre que tout Art sacré contemporain doit conjuguer la tradition chrétienne et la modernité artistique pour mieux offrir de la beauté dans les lieux où Dieu est honoré. Au total, Bourlémont est une de ces collines de France sur lesquelles souffle lesprit, et la chapelle de Le Corbusier y marie à merveille une architecture sacrée de lumière et de silence dans laquelle les phénomènes acoustiques, et jusquau dispositif de fonctionnement des cloches, nont pas été ignorés. Suivirent ses deux autres oeuvres fondamentales entreprises pour lÉglise : le monastère dominicain de Sainte Marie de La Tourette (1959) à Éveux-sur-Arbresle, dans le Rhône, et léglise Saint-Pierre de Firminy en cours dachèvement, présentée dans lémotion au colloque de Ronchamp par Dominique Claudius-Petit, fils de lancien ministre qui fut le maire de Firminy. En effet, quarante ans après la mort du « Corbu », son oeuvre ultime darchitecture sacrée, conçue entre 1960 et 1965, léglise Saint-Pierre de Firminy, est enfin en cours dachèvement après des années defforts et de combats de milliers de bénévoles et de croyants qui en ont été passionnés. Ce sanctuaire fut conçu dans le cadre des aménagements durbanisme et de modernisation de la ville à la demande de son maire de lépoque, Eugène Claudius-Petit, qui, au fil des années et grâce aux circonstances, était devenu un admirateur et un ami de Le Corbusier. Compagnon de la Libération qui devint cinq ans ministre de la reconstruction (1948-1952), Eugène Claudius-Petit, peu après la Libération, avait été envoyé avec lui, en 1946 en mission détude aux Etats-Unis, à bord dun Liberty-Ship peu rapide, donc propice à de longues conversations. Claudius apprit beaucoup de Le Corbusier, et il sut apprécier en profondeur ses approches de lurbanisme et sa démarche en architecture. Une fois ministre, Claudius-Petit était parvenu, en toute objectivité, à imposer le génie de larchitecte sur quelques créations à la fois vitales et respectueuses du barème contraignant des prix publics officiels, mais très innovatrices. Cest ainsi que furent bâties et inventées la Cité Radieuse de Marseille (initiée par le ministre Raoul Dautry et baptisée maison du Fada par les Marseillais, pas toujours avertis, mais toujours en verve !), les Unités dhabitation de grandeur conforme de Rezé-les-Nantes, de Briey et enfin celles, à partir de 1954, de lensemble urbanistique de Firminy-vert, visité par les étudiants en architecture du monde entier. Aujourdhui, la construction de léglise Saint-Pierre, seul élément encore inachevé de cet ensemble, est en cours sous lautorité de José Oubrerie, pur et dernier architecte collaborateur de Le Corbusier (comme le fut André Maisonnier à Ronchamp) qui enseigne et travaille désormais aux Etats-Unis mais vient suivre les travaux et fait équipe, sur place, avec les architectes Aline Duverger et Yves Perret. On citera pour mémoire les projets de Le Corbusier pour léglise du Tremblay en 1929, léglise de Saint-Dié des Vosges en 1945, celle de Bologne en 1965, et enfin celui quelque peu utopique, mais lui aussi jamais réalisé, de la création dune basilique souterraine à proximité de la grotte Marie-Madeleine de La Sainte Baume, de 1945 à1951
QUATRE MODULES ET LEURS TEMPS FORTS Le colloque proprement dit fut, en quatre étapes, un temps de réflexion, danticipation et démotion spirituelle, dédié à lart sacré dhier et daujourdhui pour mieux se tourner vers demain, preuves et illustrations à lappui de la part des orateurs. Il a été pour beaucoup lopportunité dapprofondir une culture et dapprécier les perspectives contemporaines offertes à lart et à larchitecture sacrés dans le monde entier. La richesse et les détails de son contenu seront consultables dès la publication de ses actes qui est en cours. Ce colloque sinscrivait dans le contexte de deux expositions et de multiples manifestations départementales (Haute-Saône) et régionales (Franche-Comté). Sous le bel intitulé De lémotion à la sérénité, la première exposition avait été organisée par Christophe Cousin (conservateur chargé à Belfort du musée dArt et dHistoire ainsi que de la donation Maurice Jardot) autour de loeuvre de Le Corbusier. La seconde exposition, tenue au musée de Champlitte (Haute-Saône) sous le thème Du génie à la spiritualité, prenait le relais avec autant de créations dartistes dans le domaine religieux. La troisième journée du colloque de Ronchamp fut dailleurs consacrée à la visite de quelques sanctuaires de Franche-Comté, après celle, sur place, de Notre-Dame du Haut. La seconde journée du colloque fut précédée, à lintention de celles et ceux qui le souhaitaient, dun modeste office religieux concélébré par tous les prêtres présents au colloque et par André Lacrampe, Archevêque du diocèse de Besançon dont dépend Ronchamp. Il sut trouver des mots simples et à la hauteur de lémotion partagée pendant ce moment de recueillement, sous les rayons dun vigoureux soleil naissant faisant rayonner la niche abritant et offrant aux pèlerins la vierge de Notre-Dame du Haut. Comment ne pas alors se souvenir des mots connotant la disponibilité de Le Corbusier et sa maîtrise de lArt sacré sous tant de formes, et pas seulement larchitecture : jexiste, je suis un mathématicien, un géomètre et je suis religieux. Cest-à-dire que je crois en quelque idéal gigantesque qui me domine et que je pourrais atteindre . Le premier module du colloque fut centré sur la rencontre entre lArt, le Sacré et la Foi. Il comporta notamment la lecture dun très beau texte du philosophe Georges Sebbag, lu en son absence par Bénédicte Mathey, assistante à la conservation du musée et de la chapelle royale de Brou (Bourg-en-Bresse), sur les liens entre Art sacré et modernité, soulignant notamment le rôle des poètes modernes, en particulier les surréalistes et le mouvement Dada, familiers de Sebbag, dans ce mariage sopposant à la révolution scientiste. Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, théologien et fondateur de lInstitut des Arts sacrés, qui examine notamment la pénétration de la théologie dans lart, présenta, dans un éblouissant exposé en forme de triple trinité, une explication des mécanismes de la rencontre entre Foi et création. Il le fit en partant des schémas induits par loeuvre de Le Corbusier à Ronchamp et en particulier trois événements mineurs mais significatifs survenus sur le chantier. Cette introduction lui permit de développer une réflexion magistrale sur les trois aspects de la création. Dabord en soi : la chose créée (loeuvre dart), lacte de création et le créateur. Ensuite en prenant appui et en offrant des illustrations à partir des propos de Le Corbusier, sa fameuse « disponibilité », et ses travaux de Ronchamp, lorateur reprit les trois mêmes points sous la lumière de la Foi religieuse. Sa conclusion fut que la Foi chrétienne invite à comprendre combien toute création est faite pour avoir une signification et à condition dêtre étayée par un projet vers la vérité, vers le bien (léthique et la valeur) et le beau (lArt), le créateur étant animé par la Grâce, car le créateur terrestre ne crée pas son oeuvre tout seul. Au total, la rencontre de lacte créateur et de la Foi permet dinscrire toute création dans une plénitude et tout créateur comme en totale disponibilité à une Grâce (voir la réponse de Le Corbusier au journaliste américain). Le second module précéda une visite de Notre-Dame du Haut accompagnée de la lecture de textes de Le Corbusier concernant la Chapelle et sa création. Il permit dabord une très riche présentation à la fois de lhistorique de la commande et de la construction de Notre-Dame du Haut, ainsi que du renouveau de lart sacré après guerre (points déjà évoqués), avec limpact de Ronchamp dans son exemplarité esthétique et morale pour la création contemporaine en art sacré à travers le monde. Lapproche fut complétée par deux solides exposés très fournis et illustrés de Inge Linder-Gaillard (docteur en histoire de lArt) et Jean-Pierre Greff qui dirige lÉcole nationale des Beaux-Arts de Genève. Le troisième module, centré sur Le Corbusier et lArt sacré, permit dentendre la lecture, faite par Dominique Claudius-Petit, dun texte très informé de larchitecte et professeur italien Giuliano Gresleri - malheureusement absent à cause dun deuil - sur le programme liturgique et dart sacré de Le Corbusier. Gresleri sintéressa très tôt à Le Corbusier, analysa dans des publications ses passionnants carnets de voyages et organisa plus de cinquante expositions sur lui. Il collabora de 1968 à 1977 avec José Oubrerie pour reconstruire avec lui le Pavillon de lEsprit Nouveau à Bologne. On entendit ensuite Danièle Pauly, historienne de lart et professeur darchitecture à Strasbourg et Nancy, dont la thèse Ronchamp, lecture dune architecture, fut louvrage fondateur sur la question. Elle rappela la phrase de Le Corbusier selon qui Larchitecte doit penser en constructeur, en plasticien et en peintre, pour faire surgir dune construction des présences suggestives démotion. Jean-François Mathey assura ensuite la lecture de témoignages de son père François, comme lui de Ronchamp, membre de la commission dart sacré, qui fut un de ceux à choisir Le Corbusier, sattirant quelques foudres, et qui devintConservateur du musée des Arts décoratifs de Paris. Un père qui lui avait personnellement écrit, à propos du sanctuaire de Ronchamp dédié à la Vierge Marie, que La beauté, pour être parfaite, doit être à la fois spirituelle et incarnée
En labsence de José Oubrerie, surchargé par son chantier, Dominique Claudius-Petit fit ensuite un compte-rendu précis de létat davancement de léglise Saint-Pierre de Firminy. Le quatrième et dernier module du colloque fut consacré à la postérité de Ronchamp, dabord en musique contemporaine, avec Gilbert Amy qui évoqua sa création dun programme adapté à Ronchamp et dont une partie fut présentée en soirée pour la clôture du colloque, ensuite en architecture avec un étincelant témoignage et un hommage à Le Corbusier par lingénieur et architecte Jean-Marie Duthilleul, directeur de larchitecture de la SNCF et constructeur des grandes gares lumineuses des TGV, qui évoqua avec force et talent les rapports entre larchitecture, la lumière et le sacré. Enfin, dans le domaine des arts plastiques, le peintre et architecte intérieur Christophe Cuzin fit sensation par lhumour et la qualité de ses remarquables créations de surfaces peintes et daménagement de décors, vitraux et mobiliers pour Notre-Dame de Lognes, près de Marne-La-Vallée, dont il a ainsi assuré un aggiornamento brillant et capable davenir. Une table-ronde finale permit de nombreux échanges, réflexions et témoignages sur les thèmes du colloque, relativisant des points qui avaient pu susciter des critiques parfois sévères. Ultra contemporaine en 1955, Notre-Dame du Haut de Ronchamp a triomphé du temps en parvenant à conquérir un statut esthétique, créatif et spirituel qui sinscrit désormais dans une perspective déternité. Ce « haut-lieu » comme disait Le Corbusier, est sans conteste un des plus beaux exemples des ambitions de lart sacré contemporain tel que lont rêvé les pères Ledeur et Couturier, et quanimèrent le chapelain Bolle-Redat à qui a succédé aujourdhui Louis Mauvais. À ce titre, ce colloque sur lart sacré contemporain fut riche dexaltation pour tous ses participants. Le Corbusier, à Ronchamp, a simultanément relevé un défi et gagné un pari spirituel. On sent sur place combien ce combat, avant, pendant et après les deux années du chantier, était à la fois personnel et spirituel. Il suffit douvrir les yeux. À mon avis, la réussite est encore plus nette que dans toutes ses autres créations architecturales, en art sacré et ailleurs. La passion et la rigueur esthétiques, dinspiration proprement mystique, qui donne sa personnalité à cette chapelle mériteraient quelle demeure en éternité, comme la lumière et le silence, à quoi Le Corbusier a toujours intimement associé larchitecture de ce sanctuaire et son inspiration. Nest-ce pas le destin du meilleur de lart contemporain, si cest après-tout exact, comme la récemment rappelé lenseigne en néon de lartiste italien Maurizio Nannucci, dans un ouvrage collectif publié sous la direction de Daniel Soutif (2) ? Cette enseigne proclame en effet que Tout art a été contemporain, et jajouterai, avant de devenir éternel sur notre terre des hommes, mais pas toujours. Le sanctuaire de Ronchamp de Le Corbusier semble être un de ces cas et lArt sacré, comme la enseigné le colloque de Ronchamp, peut continuer longtemps à en tirer des leçons. (1) Marie-Alain Couturier, Un combat pour lart sacré, Actes du colloque de Nice (3-5 décembre 2004) édités par le R.P. Antoine Lion, Serre Éditeur, 7, rue de la Roquebillière 06359 Nice Cedex 4 (2) LArt du XX ème siècle, de lart moderne à lart contemporain 1939-2002, Collectif sous la direction de Daniel Soutif, Citadelles & Mazenod, 632 pages, 2005, présenté par Harry Bellet dans Le Monde du 9 décembre 2005. Humbert Fusco-Vigné © visuelimage.com - reproduction autorisée pour usage strictement privé - | |