Les artistes et les expos Sylvie Roques-Gaichies par J.-L. C. Inattendus : Esther Segal par Marguerite Pilven
Inattendus : Esther Segal par Marguerite Pilven Esther Segal utilise la photographie comme un outil dexploration de son histoire personnelle, de son héritage familial. Sa première série photographique, Bois de Corps est traversée par lexpérience du deuil paternel. Segal sintéresse alors aux écrits de Jung, et notamment à sa notion dinconscient collectif. Sappuyant sur la symbolique de larbre, comme image paternelle, comme axe reliant le ciel et la terre, elle réalise une série de 32 tirages rythmée par lidée du rituel de passage, où le corps fragmenté, la dépouille se libère pour se transmuer en un corps lumineux. Esther Segal semble avoir faite sienne cette phrase de Gaston Bachelard : « Nous sentons les racines travailler, nous sentons que le passé nest pas mort ». Le noir et le blanc de la photographie sont les deux pôles entre lesquels elle oscille, le travail dintrospection menant aussi, par moments à lécueil difficile de laveuglement. Lartiste en fait elle même lexpérience, avec le sentiment dêtre arrivée au bout dune impasse. Elle noircit alors intégralement le papier photographique puis sempare de loutil de laveugle, un poinçon, avec lequel elle perfore le dos de la surface sensible. La lumière passe à travers les petits trous de ce braille idiosyncrasique comme par un tamis. Il sagit en fait de mettre en place un système de capture de la lumière pour ne garder que lessentiel de la photographie : le point lumineux. Un renversement sopère, de la figure au point, de limage iconique à lécriture, rapprochant lartiste de son héritage judaïque paternel. Des analogies lui apparaissent progressivement, entre le point lumineux et lécriture hébraïque. Il existe en effet dans son alphabet une lettre en forme de point, le « yod » qui anime la lettre, symbolise lâme dans lécriture. Le papier photographique devient ainsi le réceptacle de cette écriture lumineuse et lartiste réalise sous limpulsion de cette découverte un polyptique de plus de quatre mètres de longueur où les points se resserrent jusquà ressembler étrangement aux lettres de lalphabet hébreux. Patiemment, à la main, elle fait ses petits trous à lépingle, par lesquels passe la lumière du jour comme à travers un voile. Ce fin rideau photosensible devient alors le lieu dune écriture lumineuse de la mémoire, la condition même de la visibilité. Une métaphore de la vision défaillante, avec ce que celle-ci comporte de références au péché, traverse tout ce travail. De façon quasi dialectique, Segal alterne entre phases daveuglement et dépassements de celles-ci par la mise en place de procédés où le hasard et limprévu lui ouvrent de nouveaux possibles. Le jeu de dés, le tangram chinois font dailleurs également partie de son iconographie. Avec lécriture du braille, le toucher prend le relais de lil, la lecture passe par le mouvement des doigts. Lactivité de la main devient une planche de salut, une condition matérielle darrachement à lignorance et à la passivité, pour entrer dans une lente et laborieuse construction de soi. (Esther Segal vient de participer, comme jacqueline Taïb et 28 autres jeunes artistes plasticiens, à lexposition « Lart et la ville » de lOrangerie du Sénat et du jardin du Luxembourg).
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