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[verso-hebdo]
09-03-2023
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Poussin & l'amour, sous la direction de Nicolas Milovanovic, Mickaëel Szanto & Ludminla Virassamynaïken, musée des Beaux-arts de Lyon / Editions in fine, 368 p., 39 euro.

Beaucoup des amateurs de Nicolas Poussin auront en mémoire la grande exposition qui lui a été consacré au Grand Palais. L'ambition du musée des Beaux-arts de Lyon n'a pas été de renouveler une exposition rétrospective aussi complète que possible, telle que celle de Paris, mais plutôt de mettre en évidence des aspects mal connus, sinon inconnus, de la pratique picturale du grand artiste. C'est ainsi qu'a été choisi l'aspect ludique et même libertin dont certaines de ses oeuvres marquent la présence. Il est indéniable que cette optique a la faculté de dépoussiérer une oeuvre qui est associée à la notion de classicisme, même si cette liaison n'est pas tout à fait justifiée ou, tout du moins, plus complexe qu'il ne semble. Je ne partage pas l'idée des auteurs qui affirment que Poussin a toujours eu l'image d'un peintre sérieux. A mon sens il a été un artiste qui a eu la faculté de produire une poésie indéniable. Bien sûr, on ne l'a jamais considéré comme ayant une prédisposition à la licence et aux jeux libertins. Ce qu'ils ont tenu à nous faire voir est un aspect de sa personnalité et de sa création qui n'a pas beaucoup été évoqué. Nombreux pourtant sont ses dessins et ses tableaux qui sont l'expression d'une sensualité bien accentuée. L'exemple le plus clair est sans doute Vénus et Adonis (circa 1626-1627). Joachim von Sandrart, qui a été son premier biographe et qui l'a bien connu a noté dans son ouvrage à propos de ses oeuvres de jeunesse : « des bacchanales, des satyres et des nymphes d'après Ovide. »
On apprend aussi qu'il a illustré l'Adonis de Giovan Battista Marino, un ouvrage de poésie de quelques 40.000 vers, paru au cours des années 1620 (L'Adone a paru à Paris en 1620), qui a fait scandale en son temps. Quand il est arrivé à Rome, il a été subjugué par L'Offrande à Vénus de Titien. Qu'il ait contracté une maladie vénérienne n'apporte rien à ce problématique ! Giovanni Piero Bellori et Félibien se sont employés à montrer qu'il a choisi de se tourner vers les antiques après avoir été séduit par les Vénitiens. Dans le cas de Félibien, le projet est de faire naître la suprématie de la peinture française à partir de lui après une longue et brillante domination de l'art italien, il doit désormais paraître à tous comme étant le peintre « des grands esprits ».
Cette personnification du renouveau de l'art français (pour ne pas dire de sa véritable naissance) Au cours du XIXe siècle, on ne prend plus en considération que sa peinture religieuse, qui n'est pas pourtant le domaine où il a le mieux réussi. A la fin de siècle, certains l'ont perçu bien moins religieux, mais ont préservé sa sévérité supposée. En 1914, Emile Magne fait redécouvrir ses sujets les plus hardis (c'est l'année où a été imprimé le catalogue raisonné de son oeuvre). En 1913, Moschetti a rappelé le lien que Poussin a entretenu avec le bouillonnant écrivain baroque Marino. Jean-Louis Vaudoyer publie un article intitulé « Le Voluptueux Poussin » dans la revue L'Art vivant en 12925. Quant à Paul Jamot, conservateur du musée du Louvre, s'est intéressé quant à lui aux scènes de bacchanales. Un tablou est levé à cette époque. Plus tard, Jacques Thuillier a reconnu que Poussin était « le peintre de l'amour ». Quant à Pierre Rosenberg, il examine dans son essai tout ce qui a pu être dit u écrit sur la dimension sensuel de Poussin et ensuite Alain Mérot se place dans la perspective de Jacques Solé qui a déclaré que Poussin s'inscrit dans l'érotisme de la Renaissance, prolongé au XVIIe siècle, et qui « demeure un mythe voluptueux à une pure élite de l'esprit. »
Des expositions ont déjà dévoilé un peu ce versant de la pensée de Poussin. Mais jamais jusqu'alors on avait osé mettre en exergue un peintre qui ne craignait nullement de traiter des sujets licencieux, de manière explicite ou non. Cette cinquantaine de pièces et les nombreux textes figurant dans ce remarquable catalogue ont permis de donner toute la mesure du sensualisme propre à ce peintre qui, à force d'être idéalisé, a fini par voir disparaître entièrement son essence propre. Cette manière de considérer sa peinture nous oblige à réviser du tout au tout la vision que nous en avions jusqu'alors et à voir dans sa démarche non seulement un retour à la littérature grecque et latine décomplexée, mais aussi l'invention d'un érotisme qui serait une conception de l'être libertin (ce qui ne passe pas nécessairement par le libertinage). La beauté à partie liée avec cette sensualité inhérente à la plupart de ses sujets antiques Et elle est d'une grande sophistication - tout l'opposé de ce que fera deux siècles plus tard avec l'art académique, qui joue sur les ressorts de l'érotisme avec des codes très policés. Cet ouvrage est indispensable pour tous ceux qui veulent mieux connaître ce génial créateur qui n'a pas encore fini de nous surprendre et de nous fasciner.




Che sonno, Concetto Tambourello, MFD, 216 p.

C'est un artiste sicilien, Concetto Tamburello, qui vit et travaille désormais à Milan, qui a eu l'idée de faire un livre pour faire découvrir le petit cimetière du village de San Stefano di Camastra (province de Messine). Ce camposanto est unique en son genre. En effet, ce petit village, spécialisé depuis longtemps dans l'art de la céramique, possède un cimetière où les tombeaux sont recouverts de céramiques d'une belle facture. Chacun d'entre eux est décoré d'une manière différente et présente une riche variété formelle. Aucune étude archéologique n'a été faite jusqu'à ce jour. La municipalité s'est désintéresse et le ministère des biens culturels fait la sourde oreille, ce qui est tout à fait incompréhensible. Ainsi, Tamburelli, a décidé de photographier toutes ces tombes, de les assembler dans un livre copieux et de les commenter. L'ouvrage contient des coupures de presse, des lettres adressées par des représentants politiques ou culturels, un plan détaillé du lieu, des tentatives malheureuses de restauration, des traces des manifestations entreprises pour alerter l'opinion et faire agir les autorités compétentes.
Un jeune homme est allé jusqu'à faire une grève de la faim et de s'enchaîner ! Ce cimitero vecchio est un petit chef-d'oeuvre entouré de cyprès serrés les uns contre les autres, faisant penser à une composition onirique (on ne peut s'empêcher de songer à L'Ile des morts d'Arnold Böcklin). Mais l'atmosphèrere est toute autre que celle du peintre suisse. Il n'y a rien dans ce périmètre qui proclame le triomphe de la mort. Au contraire. Plusieurs de ces tombes rappelle de paisibles et modestes petites maisons dans nos campagnes qui n'auraient de singulier que leurs toitures faites de ces carreaux de céramiques peints appelés ambrogette. Leur assemblage fait naître un sentiment de poésie étrange et de calme digne d'un monastère, mais qui n'aurait rien de proprement religieux. Il n'y a d'ailleurs pas de croix pou de symboles chrétiens, ni en fait aucun symbole. Il n'y a que la superbe combinaison de ces plaques de céramique aux dessins géométriques.
La simplicité est de règle, sauf dans le cas de rares cas où la composition s'orne de cercles et de boucles. Il n'en est pas une qui ne soit réussi, même si leur composition est simple. Les couleurs sont bien définies et lumineuses, L'ensemble forme une sorte de petite cité avec des tombes de tailles différentes. Il serait plus que temps de suivre les recommandations de Concetto Tamburella et de restaurer cet ensemble si curieux et si beaux. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre digne d'archéologues de premier plan, mais ce n'est pas non plus un endroit à dédaigner, loin s'en faut. Sa protection et sa présentation au public lui permettrait de figurer parmi les curiosités les plus insolites qu'on peut découvrir dans toute l'Europe. Et peut-être saurons-nous enfin quelle est son histoire.




Un étranger nommé Picasso, Annie Cohen-Solal, Folio « histoire », Gallimard, 800 p., 15, 10 euro.

La littérature qui a été produite sur Pablo Ruis Picasso est pléthorique. Mais, aussi singulier que cela puisse paraître, il reste encore bien des zones d'ombre dans son existence. L'un de ses plus importants biographes français, Pierre Daix, un de ses proches de surcroît, a tout mis en oeuvre pour dissimuler certains faits pourtant essentiels pour comprendre certains faits. L'entreprise d'Annie Cohen-Solal, qui repose sur une recherche poussée dans diverses archives (dont celles de la police de Paris) nous fait découvrir des aspects nouveaux de l'histoire de Picasso. Celui-ci est arrivé à Paris avec son ami Casagemas à l'automne 1900. La raison de ce voyage est sans doute le faite qu'un tableau de Picasso figure au sein de l'exposition officielle du pavillon de l'Espagne.
Il retrouve des amis qu'il a connus à Barcelone, en particulier Santiago Rusignol, peintre et critique, installé dans la capitale française depuis un certain temps. Il n'a pas tardé à trouver des marchands pour s'intéresser à son travail. Il retourne à Barcelone et Casagemas retourne à Paris seul. Peu après son arrivée, il se suicide par amour.
De nouvelles dispositions légales ont été prises à l'encontre des étrangers. A cette époque l'anarchie est devenue très violente et l'attentat mortel perpétué contre Sadi-Carnot perpétué à Lyon en 1894 par un Italien a été à l'origine de ces dispositions. Pablo Picasso est fiché très tôt. Le savait-il ? L'auteur fouille les documents qui le concerne et qui le range dans la catégorie des anarchistes. Sa naturalisation sera longtemps refusée. Le commissaire Rouquier instruit son dossier et l'y présente comme un individu dangereux. Ce qui est passionnant dans cette affaire est qu'aucune enquête n'est faite pour connaître ses réelles activités ! Quand il retourne à Paris pour la quatrième fois, Picasso s'installe au Bateau-Lavoir, qui est un endroit assez misérable et peu salubre. Il n'a pas coupé les liens avec ses parents et reçoit d'eux régulièrement des lettres. Il s'évertue à se faire des relations. Il se lie d'amitié avec le poète Max Jacob et, plus tard, avec Guillaume Apollinaire. Il commence à prendre pied dans cet univers bizarre qu'est Montmartre. Il fait connaissance avec Leo et Gertrude Stein qui, encore à cette époque, font une collection en commun. Il visite le Salon d'Automne et y découvre la salle n°7, celle des « fauves ».
En 1906, il débute sa relation avec Fernande Olivier. La suite de l'histoire est présente dans tous les ouvrages consacrés à l'artiste andalou qui défraie la chronique artistique avec le cubisme. Mais, au lieu, de s'en tenir toujours à un récit chronologique classique, l'auteur a choisi se mettre l'accent sur certains événements ou figures qui ont joué un rôle crucial au cours de cette période qui marque l'avènement d'un artiste qui va choisir une vision de la peinture totalement novatrice. Cohen-Solal brosse le portrait de Vincenc Kramar, venu de Prague et qui s'enthousiasme pour le monde pictural de Picasso. Il achète un nombre important d'oeuvres, visite son atelier et va aussi écrire sur le cubisme naissant (il est le seul des amateurs de cet artiste qui ait une formation en histoire de l'art). Un autre personnage déterminant dans son histoire est le marchand de tableaux allemand Daniel-Henri Kahnweiller. Les faits et gestes de Gertrude et de Leo Stein sont analysés en détail jusqu'à leur rupture. C'est Gertrude qui a conservé les pièces de Picasso. A travers eux, l'auteur nous fait comprendre de quelle façon s'est édifié le mythe autour de Picasso.
Bien sûr, elle est obligée de remettre tout dans un contexte précis, qui est celui de la biographie et de sa chronologie. L'entrée de Georges Braque dans la vie de Picasso et le début de leur collaboration étroite. Malgré ces difficultés de présentation, ce travail est vraiment remarquable. Je me suis arrêté sur la période de l'occupation qui reste une des plus énigmatiques. Picasso s'installe définitivement rue des Grands Augustins à Paris en 1942. Il y reçoit beaucoup et, entre tous ces visiteurs, il y a des officiers supérieurs de la Wehrmacht. Ernst Jünger consacre trois pages de ses mémoires à une visite qu'il a fait avec des officiers de l'Etat major allemand. Et celle-ci ne semble pas la seule de ce genre.
L'auteur omet de parler de la production de Picasso pendant ces années noires, se limitant à citer la sculpture de L'Homme au mouton, dont le réalisme est de bon ton alors. Il illustre aussi L'Histoire naturelle de Buffon avec des gravures elles aussi d'un réalisme d'une indéniable sagesse. Sans doute ne fréquente-t-il pas les milieux de la collaboration de façon visible, mais il y a de nombreux amis. De plus, il s'est immédiatement proposé de se porter au secours de son vieil ami Max Jacob dès qu'il a su qu'il avait été incarcéré à Drancy. Cocteau lui a demandé de se mettre de côté et il a obtenu l'élargissement du vieux poète juif, malade de surcroît. Mais quand il s'est rendu au camp de Drancy, il a appris que ce dernier était déjà mort. Son « ami » nazi lui avait-il joué un mauvais tour ? (On sait que les Allemands ne libéraient des Juifs que dans des circonstances très rares et même exceptionnelles). Reste encore le mystère de son adhésion au parti communiste en octobre 1944 et sa fréquentation permanente de Pul Eluard et de Louis Aragon, qu'il ne fréquentait pas avant la guerre.
Le « mystère Picasso » n'est pas tout à fait dissipé. Bien sûr, on ne peut vraiment lui reprocher pendant l'occupation, mais il n'a pas été proche de la résistance comme a pu l'affirmer, pas plus qu'il n'avait à craindre la répression étant ressortissant d'un pays ami de l'Allemagne nazie. Il faut aussi noter que sa demande de naturalisation a été refusée fin avril 1940, malgré un avis favorable. Mais il y eut une lettre de dénonciation l'accusant de propos en faveur du communisme et aussi une note très négative dont on ne connaît pas l'auteur. Des toiles de lui sont vendues en 1941, à des prix substantiels.
En conclusion Picasso a encore des choses à cacher ! Cela étant dit, il faut saluer ce travail d'Annie Cohen-Solal. Qu'elle ait raté une marche ou deux est excusable vu l'immensité de son chantier d'investigation. Pour apprécier ce qu'elle a accompli, il est indispensable de connaître déjà un peu le parcours de Picasso - enfin, l'essentiel - sinon on court le risque de se perdre. C'est un ouvrage qui complète l'énorme bibliothèque que j'évoquais au début et qui l'enrichit sans le moindre doute.




La Nuit sentimentale, Alexandre Castant, « Ecritures », L'Harmattan, 110 p., 13, 50 euro.

Thomas, le héros du premier chapitre, est un orphelin qui n'a plus qu'une soeur qui est sagement, vue les circonstances, recluse dans un couvent. Il a dû affronter la cruauté de la guerre - de la Grande Guerre. Il s'interroge, maintenant que ces quatre années terribles sont passées, ce qui lui reste, au fond, de cette longue et terrible expérience. Qu'avait-il pu penser au cours de ces heures interminables dans les tranchées ? Et que reste-t-il de lui dans tous ces documents, carnets, photographies, bouts filmés, peinture et sculptures, dessins et objets arrachés aux morts ? Quel dessein a-t-il alors poursuivi ? Le sait-il seulement ? Il n'a plus en sa possession que cette interrogation qui demeurera sans réponse. Alors qu'il poursuit cette quête vaine, alors qu'il visite les archives de toutes origines, d'autres événements déchirent son horizon mental, par exemple des étapes du Tour de France.
Ce monologue qui ne conduit qu'à un vide vertigineux Une page se tourne et un nouveau chapitre s'impose : on y voit apparaître Claude Monet en train de peindre ses Nymphéas - celles qui seront installées dans le sous-sol de l'Orangerie des Tuileries, - une commande d'Etat pilotée par Georges Clémenceau. Puis reviennent tout d'un coup les réminiscences éternelles de cette guerre dont il ne parviendra jamais a faire abstraction - elle est ancrée en lui, avec tous ces lieux, toutes ces villes et évidemment tous ces morts.
Plus on avance dans ce récit, plus la bibliothèque prend des proportions pléthoriques : ce qu'elle contient ne cesse de croître et, entre Verdun et la Meuse, s'accumulent des documents innombrables. Et toutes les références s'accumulent toujours plus -, des livres, des films, des histoires encore et toujours. Il y a à la fin le voyage dans ces territoires martyrisés qui appartiennent désormais à la mémoire (disons : l'histoire). Ce livre est troublant car il ne s'agit pas de reconstituer le destin d'un des milliers de malheureux qui se sont retrouvés dans l'enfer des combats et des bombardements, mais plutôt de comprendre à quel point ces souvenirs peuvent saturer la conscience. Et puis, parmi toutes ces choses qui ont partie liée avec ces jours qui trouvent leur peinture dans Orages d'acier d'Ernst Jünger.




Dites 33, easy listing, 1 (3-33), Jacques Norigeon, Propos Deux, 66 p., 13 euro.

La Preuve par 99, easy listing (67-99), Jacques Norigeon, Propos Deux, 138 p., 13 euro.

Jusqu'à la route 66, Jacques Norigeon, Propos Deux, 106 p., 13 euro.


Jacques Norigeon a d'ores et déjà une bibliographie qui n'est pas indifférente. Sa démarche littéraire n'est pas banale car elle joue sur des ambiguïtés. Il joue avec la forme poétique, mais ne prétend pas édifier une oeuvre poétique au plein sens du terme. D'autre part, il développe des phases autobiographiques. Mais là encore, il ne se fait pas mémorialiste. C'est la tension entre des jeux de construction formelle qui donne à son écriture son caractère très spécial. Il adore dresser des listes absurdes, un peu comme l'avait fait Jacques Prévert, mais sans rechercher comme lui le joyeux tohu-bohu de choses entassées les unes sur les autres comme dans une brocante fantastique et humoristique.
Le principe est identique, mais l'esprit est légèrement différent. Toutes ces listes servent de décor dans une théâtralisation du monde de l'auteur. Et celui-ci se raconte dans des promenades parisiennes dignes des surréalistes, ou dans des catalogues, par exemple celui de toutes les librairies qu'il a fréquentées ou de fantaisies diverses, comme la description des 99 dragons recensés au Japon. Il voyage dans le passé comme il circule dans son présent en choisissant toujours un point de référence précis. Parfois il se lance dans une sorte de petites nouvelles pleines de rebondissements (par exemple, dans les « Quatre-vingt-huit débuts balzaciens »)
Au début, on a tendance à trouver ses formules un peu faciles et peu originales mais, peu à peu, on découvre qu'il s'agit d'un jeu plus savant qu'il ne semble. Bien sûr, la présentation sous l'aspect de poèmes que l'auteur adopte pour la plupart de ces textes peut laisser croire à bien autre chose. C'est en vérité un piège que nous a tendu Jacques Norigeon et nous ne reprenons pied qu'au bout de plusieurs pages. En définitive, il a voulu s'inventer une autre façon de fabriquer de la littérature en détournant l'esprit de la poésie et aussi celui du récit. Ce n'est pas chez lui l'expression d'un désir d'en découdre avec l'écriture et avec ses illustres prédécesseurs, mais plutôt un besoin de la vivre différemment. C'est cocasse et irrespectueux, cela ne fait aucun doute, mais on s'aperçoit vite que cette autobiographie loufoque est plus sérieuse que nous le croyons.
La littérature « classique » et même moderne est prise en défaut et il n'adhère à aucune école d'avant-garde. Ce n'est pas à proprement parler un destructeur, mais un navigateur dont la boussole est volontairement faussée. Personne ne va se perdre dans cette fausse poésie ni s'ennuyer d'ailleurs. Chacun y fera l'expérience d'un autre horizon dans la géographie qui naît sous sa plume. A découvrir.
Gérard-Georges Lemaire
09-03-2023
 

Verso n°136

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