L’idée a été celle de Véronique Smagghe. Elle m’a demandé de la réaliser : montrer quel a été l’univers de Brion Gysin (1916-1986) et j’ai trouvé que c’était une idée non seulement judicieuse, mais aussi très intéressante pour le public qui n’arrivent pas forcément à le situer sur l’échiquier littéraire et artistique. Car il a été tout à la fois artistique, poète, romancier, auteur de chansons, scénariste.
Son aventure commence vraiment en 1934, quand il vient à Paris et rencontre quelques uns des membres du groupe surréaliste. L’année suivante, il est convient à une exposition collection organisée par André Breton à la galerie des Quatre chemins aux côtés de Marcel Duchamp, de Man Ray et de Dalì. Mais il est exclu de ce mouvement par l’auteur de Nadja à cause de son homosexualité. Après avoir servit dans l’armée américaine pendant la guerre (il y a appris les bases du japonais), il a décidé d’écrire un mémoire universitaire sur l’esclavage au Canada. Il s’est rendu à Bordeaux et à Séville pour étudier cette question 1949 grâce à la bourse Fulbright qu’il a reçue. En 1950, il se rend à Tanger et s’y installe. Il y crée le restaurant Les Mille et une nuits où il fait venir les musiciens de Jajouka et peint ses Déserts. Puis il a commencé son grand cycle des calligraphies, en composant des grilles associant la verticalité des pictogrammes orientaux et l’horizontalité de l’écriture arabe. Il doit fermer son établissement en 1958 et il se rend alors Paris au printemps 1958. Et il s’installe dans la chambre 15 du Beat Hotel de la rue Gît-le-Cœur. Là, il se lie avec l’écrivain américain William S. Burroughs (1914-1997) qu’il avait déjà connu au Maroc. Ce dernier se passionne pour les techniques littéraires mises au point par Gysin : le cut-up, le fold-in et les permutations. Ils réalisent des œuvres communes, ou parallèles dont une large part se retrouve dans Œuvre croisée* (d’après l’édition américaine restée sur épreuves). Burroughs, qui a publié The Naked Lunch – Le Festin nu - pendant cette phase expérimentale, se passionne pour ces techniques qu’il ne tarde pas à utiliser pour sa grande trilogie, La Machine molle, Le Ticket qui explosa et Nova Express. Il a aussi écrit deux romans, dont le premier, The Process, a paru dans ma collection chez Flammarion (« Connexions ») en 1975, et le second, The Beat Hotel, est demeuré inédit.
De son côté, Gysin a plutôt tendance à utiliser les permutations pour ses poésies sonores et ses chansons. C’est d’ailleurs son œuvre poétique qui lui fait rencontrer lors de performances publiques d’autres créateurs, français ceux-là, qui travaillent une optique voisine. L’un d’eux est Bernard Heidsieck (1928-2014), qui est l’un des pionniers dans ce domaine et qui a aussi développée une œuvre plastique, en utilisant des collages de lettres et de fragments de bandes magnétiques (et utilisant aussi bien d’autres méthodes). L’originalité de ses créations en particulier les Passe-partout, est de ne jamais soumettre le sens au son, se différenciant des héritiers du dadaïsme et des lettristes. L’autre est Henri Chopin (1922-2008), a réalisé des expériences sur magnétophone dès 1955 et a réalisé de la poésie typographique, qui joue sur l’ambiguïté entre poésie et art plastique et a créé le concept d e »poésie objective ». Il dirige la revue Cinquième saison en 1959. En 1964, il a fondé la revue Ou, qui est la première à inclure des disques microsillon, avec, entre autres, des enregistrements de Gysin, de Burroughs et de Heidsieck. Son rôle dans la diffusion de ces formes nouvelles de poésie est tout à fait notable. Quant à John Giorno, qui a fait ses premières armes à la Factory d’Andy Warhol à New York, il a poursuivi une poésie qui repose sur un dédoublement du texte, l’une étant lue par ses soins, l’autre, enregistrée. Ses performances sont devenues de plus en plus spectaculaires. Il a créé en 1965 le Giorno Poetry System et a aussi mis en place en 1968 au MOMART de New York Dial-a-Poem. Il a publié de nombreux disques de poètes contemporains. Il a publié des recueils de ses poèmes, a réalisé des peintures tirées de son œuvre poétique et continue à faire des tournées de lectures dans le monde entier. Brion Gysin s’est aussi lié d’amitié avec des artistes, qui étaient eux aussi des innovateurs, mais souvent dans d’autres directions.
Je citerai en premier lieu l’artiste François Janicot, l’épouse de Bernard Heidsieck qui, après avoir fait des tableaux monochromes gris puis des tableaux grillagés, s’est lancée dans l’art de la performance avec ses Encoconnages à la fin des années soixante. Elle a aussi réalisé de nombreuses vidéos où elle collabore avec des poètes, dont Les Diables de Brion Gysin (1974). Son œuvre a connu alors une évolution dans plusieurs registres plastiques et en poursuivant ses représentations scéniques.
Pierre-Armand Gette a entretenu une relation amicale et complice avec Gysin. Il a travaillé dans plusieurs domaines, la peinture, le dessin, la photographie, la vidéo, les installations et il a aussi écrit des textes qui sont d’une indéniable portée littéraire. Son œuvre polyphonique est néanmoins sous-tendue par une quête intérieure possédant sa logique en dépit des mille formules employées. Elle embrasse aussi bien la botanique, l’entomologie, la géologie que le roman (avec Pierre Loti récemment) et les mythes anciens. Lawrence Lacina, dotn Nathalie Heidsieck m’a fait connaître (l’eexistence, car Brion Gyson, ni personne de son entourage ne m’en avait parlé) à la fois artiste et esthète, a accompli avec Brion Gysin un voyage en Iran dont il a laissé un livre de collages et de récits du périple. Son œuvre, restée méconnue, se caractérise surtout par des collages, une série partant du principe du damier, avec une immense poésie.
Enfin, Arthur Aeschbacher un grand artiste encore trop peu connu, a exécuté des collages d’affiches au moment du Nouveau Réalisme, en se distinguant des artistes de ce groupe par sa volonté de ne pas rompre tout à fait avec la peinture. Ses tableaux ont toujours reposé sur les mêmes bases conceptuelles, en particulier en jouant sur les caractères typographiques, mais ont adopté des apparences très diverses, aboutissant aujourd’hui à un hommage vibrant à Gysin avec ses Turn-cuts. La singularité de sa démarche rend son œuvre attachante car elle ne s’est jamais laissée enfermer dans un système invariable.
* traduit de l’anglais (Etats-Unis) par A.-C. Taylor & G.-G. Lemaire, « Connections », Flammarion, 1976. Je renvois le lecteur aux deux volumes du Colloque de Tanger (Christian Bourgois éditeur, 1976 & 1980 ; suivi d’un choix de textes du premier volume en un volume, CIPM, 2013).
L’exposition a été prolongé jusqu’à la fin du mois de février à la galerie Véronique Smagghe, 10 rue de Saintonge, Paris 3 ouvert de 15 h à 19 h, sauf le dimanche et le lundi), puis présenté dans le cadre d’ »Art Paris »
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