L'installation de Maryam Jafri se dit "exhaustive". Elle cherche à pointer les points communs à l'imagerie officielle dans plusieurs pays ayant acquis l'indépendance. Maryam Jafri a opéré des rapprochements visuels, purement formels, entre des photographies en noir et blanc.
Sur le mur nu du White Cube de Bétonsalon, l'artiste a collé des photocopies noir et blanc des photographies officielles au format à peine plus grand que des cartes postales. Si la logique de l'accrochage m'avait totalement échappé le soir du vernissage, dans l'espace vide de la galerie et avec le recul, elle apparaît pleinement. Ici, un groupe d'images format paysage - des vues en plan large - montre la foule agglutinée devant des estrades là, un autre groupe d'images en plan plus serré montre les chefs des états nouvellement indépendants paradant dans leur voiture officielle. Là encore, trois images au format vertical dont l'interprétation parait plus confuse, voire, erronée. La responsable du lieu commente "ici, dans notre imagerie, nous pouvons croire qu'il s'agit du premier homme sur la lune, or, il s'agit du drapeau planté sur le sol du Mont Kilimandjaro en 1961 en Tanzanie". Un jeu sur les codes ?
Bien que le dossier de presse mentionne à deux reprises qu'il s'agit des anciennes colonies européennes "en Asie et en Afrique" (je cite, dans l'ordre), les images qui accompagnent le dossier de presse donnent à voir des chefs d'états d'Afrique subsaharienne. Sur 57 images, seules 11 reflètent la situation des anciennes colonies asiatiques, comprenant l'Inde, les Philippines, le Sri Lanka, et le Vietnam... Dommage.
Je m'étais dit en lisant "en Asie et en Afrique" que c'était là l'occasion de rappeler par les images que les empires européens n'étaient pas réduits aux territoires les plus proches de l'Europe.
Mais après tout, Maryam Jafri questionne notre mémoire visuelle, c'est-à-dire, dans un monde où notre entendement s'est construit par la "preuve par l’image", notre mémoire tout court. En d'autres termes, "Pas d'image = pas de mémoire". Voilà ce qui pourrait expliquer que l'indépendance des pays asiatiques soit si peu documentée. Elle a été immédiatement suivie de la guerre froide, et la guerre américaine au Vietnam - entre autre terrain où cette guerre a eu lieu - a été couverte ad nauseam par les reporters de toute la planète.
Il n'y a pas volonté de "documenter" de façon pédagogique ce moment "post-colonial". Ce que cette installation ne veut pas montrer, ce sont les jours qui ont suivi ce jour d'après, les semaines et les mois qui ont vus des crimes commis au nom de la réforme agraire, par exemple.
"Le jour d'après", ne serait donc qu'une tentative formelle de rassembler une imagerie officielle pour questionner ces images. Que nous disent-elles ? Ces images, collectées dans les pays mêmes de l'après indépendance, sont-elles celles que les pays colonisateurs ont choisi de conserver ? Il eût été intéressant de confronter les deux systèmes de représentation.
Myriam Dao
Maryam Jafri "Le jour d’après"
Bétonsalon
9 esplanade Pierre Vidal-Naquet
Rez-de-Chaussée de la Halle aux Farines
13ème arrondissement à Paris
jusqu’au 11 juillet |