Il y a des œuvres d’art qui vous saisissent dès que vous les découvrez. C’est le cas avec Silvia Paladini, qui a amorcé sa carrière artistique que relativement tard. Ce qui m’a frappé en premier lieu, c’est sa faculté d’avoir su dès le début à donner naissance à un univers qui ne ressemble à aucun autre. Elle parvenu à créer des volumes qui ne se rattachent à aucun des langages de notre époque. Elle adopté une démarche formelle qui m’ont fait songer, à-première-vue, aux recherches plastiques-de-Naum Gabo, sculpteur russe d’origine hébraïque, ou à Antoine Pevsner, son frère, qui ont élaboré leur travail dans la sphère du constructivisme. Naum Gabo a continué à créer ses sculptures en utilisant, qui était des objets abstraits se développant dans l’espace en utilisant des matières nouvelles. Mais Silvia Paladini ne connaissait ces artistes et, de toute façon, elle n’est pas allée dans le sens de l’abstractions pure, même si elle en a détourné des formes. Ses œuvres sont figuratives, quand bien même elles sont très stylisées. Elles représentent des navires qui ont quelque chose d’onirique. Elle évoque des périples sur des océans imaginaires. Elle a pour conduite d’inventer dans des termes modernes les voyages d’Ulysse tout autour de la Méditerranée. Mais il n’y a pas ici de héros. Ne subsiste que l’idée d’une navigation au cœur d’un océan de fiction avec des embarcations qui sont toutes de l’ordre du rêve.
Elle emploie toutes sortes de matériaux, de l’aluminium à la mine de plomb, du plexiglass à la matière plastique, et bien d’autres encore. Chacun de ses navires donne la sensation d’être un peu immatériel, comme s’ils flottaient dans les airs plutôt que sur des flots. Les transparences n’excluent pas les harmonies chromatiques très subtiles. Et aucun de ces bateaux improbables ne se ressemblent. Ils n’ont en partage que les matériaux qui les composent et leur apparence fantasque. Son armada fantasmatique procure un sentiment de légèreté qui renforce cette sensation d’irréalité. Quoi qu’il en soit, elle entend faire en sorte qu’elle engendre une poétique nautique. Cette fragilité de ces compositions n’efface pas un instant sa puissance suggestive. Au contraire. Elle lui donne un poids symbolique notable. Sa volonté secrète est de nous engager à prendre place dans ces navires afin de partir sur les mers en quête d’une autre intelligence du monde sensible et d’aborder sur des îles qui nous détache complètement des contingences qui sont les nôtres.
Cependant, elle ne s’est pas limitée à ce genre de figures. Elles a aussi voulu transformer ses voiles en des montages qui défont l’idée même de navire. Ce sont des extrapolations plastiques qui en font des volumes qui n’ont de sens que selon sa grammaire intérieure. Cela pour dire qu’elle a voulu aller le plus loin possible dans les éléments qu’elle avait eu l’intention de produire. Elle n’a donc pas souhaité décliner à l’infini un thème qui a été à ses yeux un moment essentiel de son parcours esthétique. Par exemple, dans Solei> (2013), sa voile s’enroule sur elle-même devant un astre resplendissant. Il est donc évident que ses sculptures ne cessent de se métamorphoser dans l’idée d’aller vers une autre dimension.
Elles s’est maintenant mise en tête de fabriqué des livres en usant à peu près des mêmes matériaux. Ces livres n’ont pas d’auteur (à moins de considérer que c’est elle cet auteur). Il n’y a pas de texte, mais des pages disparates, de format, de couleur et d’épaisseur diverses. Ils s’inscrivent dans la même perspective que ses nefs fictives. Ils déploient un genre de discours sur notre culture occidentale, où les livres, après les belles et curieuses nefs de sa flotte merveilleuse issue de son inconscient. Ils nous rappellent que leur forme est né de l’essor du christianisme, En effet, le rectangle, qui est la norme dans l’édition et même déjà au Moyen Âge, s’est imposé parce que la croix peut s’y inscrire. Elle s’est diverti à jouer avec cette contrainte formelle, parfois en la transgressant, mais en transformant le livre en un objet ludique et énigmatique. Cette bibliothèque n’a d’autre utilité que de nous rappeler que notre civilisation est issue du Livre -, la Bible -, qui est la structure portante de nos pensées et de nos actes depuis bien des siècles. C’est là une méditation qui a une face de Janus : d’un côté, elle célèbre cet outil indispensable dans tous les domaines, mais c’est également un jeu qui est un art de la métamorphose. Ses livres ne se rangent pas dans la bibliothèque de Michel de Montaigne, ni dans celle de Jorge Luis Borges. Ils sont uniques et tout en étant la dérision plastique de nos ouvrages courants, sont aussi une manière de les sublimer.
Paris, juin 2014 |