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[verso-hebdo]
28-11-2024
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane solitaire |
Un seme di collina, Nerina Toci, édition bilingue présenté par Davide Di Maggio, 176 p., 30 euro.
La photographie tient une place toujours plus importante dans le champ de l'art actuel. Les techniques se sont multipliées et se sont complexifiées. Même si d'aucuns utilise encore celle de l'argentique, qui est la plus ancienne, les ressources de l'électronique ont ouvert des possibilités considérables. Nerina Turi (née à Tirana en 1988) a fait un choix esthétique déterminant : ses clichés sont réalisés exclusivement en noir et blanc.
Après avoir participé à diverses expositions collectives, elle a sa première exposition personnelle à Palerme en 2016. Elle a eu un cycle d'expositions l'année suivante, à Santiago du Chili et à Valparaiso - un cycle qui s'est poursuivi en 2017. En 2018, elle présente ses oeuvres à la Fondation Mudima di Milan avec un catalogue important. Ses créations représentent le plus souvent des figures (la plupart du temps des nus) dans un paysage ou un contexte architectonique. Ses compositions se situent à mi-chemin entre une conception expérimentale et un réalisme détourné. En sorte qu'elle a su conjuguer pleinement un langage moderne déjà classique et une inventivité qui transgresse les règles les plus élémentaires de la prise de vue conventionnelle dont elle utilise les ressources. La confrontation entre ses modèles (hommes ou femmes) paraît avoir une relation spéciale avec le décor, comme le montre déjà la couverture du catalogue où un nu féminin allongé sur un rocher surplombe les toitures d'un village enchâssé dans une vallée. Sa manière de les traiter peut se révéler plutôt conventionnelle ou théâtrale, parfois débridée.
Elle n'a pas un code précis ou une règle primordiale de ce point de vue. Sa démarche est toujours reconnaissable, même si la composition diffère de modalité. Elle ne cesse d'ailleurs jamais de modifier ses cadrages ou la position de ses sujets. Seul son style demeure identique d'un cliché à l'autre, tout comme son utilisation de la lumière et de l'ombre. De sorte qu'elle développe un univers très personnel tout en passant du portrait au détail anatomique. Sa recherche est parfois paradoxale car elle associe, selon les circonstances, les lieux et donc son humeur et son inspiration, des éléments qui ne se concilient pas forcément. Mais le résultat est là : tous ses tirages ont un caractère propre tout en prolongeant une chaîne sémantique très cohérente. C'est sans aucun doute une jeune artiste à découvrir.
Doppio Soddu, due mondi dello stesso nome, préface d'Alberto Barranco di Valdivieso, MAC Guarcino
Pour la première fois, le père, Stefano, et le fils, Filippo, exposent ensemble. Stefano Soddu a surtout privilégié la sculpture et c'est encore le cas ici, mais il a aussi exécuté des oeuvres sur papier, des installations, et a établi des relations conceptuelles entre la couleur et les volumes. Quant à Filippo, il a choisi d'emblée une technique particulière : le collage. Il l'a rapidement associé à la notion de peinture. Dans le cas présent, il poursuit cette recherche, mais en la rendant toujours plus complexe. En sorte que la relation familiale n'entre pas en ligne de compte dans cette exposition. Stefano Soddu a choisi de présenter des pièces en fer qui préserve la couleur du matériau. Il les a baptisées « Variations » et c'est bien le cas : il a utilisé des formes simples et géométriques qui parfois sont des déclinaisons d'un même dispositif. On pourrait, de prime abord, y discerner une sorte de lointaine influence du minimalisme américain. Et ce ne serait pas tout à fait faux. Mais il n'a pas l'esprit de système. S'il privilégie le métal sous toutes ses formes, il a tendance à donner naissance à de petites séries qui reposent sur les mêmes critères formels.
Par exemple, il découpe sur une plaque rectangulaire un autre rectangle qui se dresse à la verticale. Sur chacune ces plaques, il découpe une forme géométrique simple. La surface initiale demeure évidée et tient lieu de support pour ce découpage. De son côté, Filippo Soddu a développé les modalités de ses collages, qui peuvent alors se diversifier et devenir une accumulation comme c'est le cas dans la Petite cuisine et dans ses Petites chambres. Les autres compositions prolongent ses assemblages de couleurs qui se traduisent par une abstraction qui peut être monochrome ou multicolores. On peut remarquer qu'il a le souci de dépasser sans cesse plus le champ de son investigation qui, à mes yeux, paraît être issu des Nymphéas de Claude Monet sans cependant y faire directement référence. Ce face à face père-fils montre deux façons très différentes d'affronter l'espace plastique dans des cycles qui conduisent chaque fois à de nouvelles inventions.
Silvia Paladini, Spazio Ponte degli Artisti, piazza Repubblica, Milan.
Encore peu connue, Silvia Paladini (née en 1963) a déjà participé à de nombreuses expositions collectives. Elle a eu sa première exposition personnelle à Cesano Boscone en 2018. Elle a choisi de créer des sculptures fantasques, utilisant différents matériaux, plus ou moins conventionnels. Ses sculptures ne sont pas abstraites et font allusion à des embarcations fantasques, avec de hautes voilures. Son thème de prédilection est par conséquent le voyage sur les mers, mais transféré dans une dimension imaginaire. La composition de ses navires ne suit pas un modèle et n'ont donc affaire qu'à une dimension fictive et poétique qui dérive plutôt de l'Odyssée d'Homère et du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud. Mais tout un chacun pourrait y découvrir une réminiscence d'Hermann Melville ou de Jules Verne, ou encore des grands écrivains voyageurs du XIXe siècle, que de soit Lamartine ou Théophile Gautier ou encore Pierre Loti. Tous les possibles sont ouverts car ses embarcations ne font référence à aucun périple maritime. Elle a voulu magnifier dans le rêve toutes les grandes aventures qui ont enchanté notre enfance et qui ont, par la suite, aiguisé un désir secret d'entreprendre une traversée mémorable. Ce qui se révèle dans ses oeuvres fantasmatiques, c'est un goût prononcé pour des constructions analogiques qui rendent encore plus mythiques nos circumnavigations mentales. La spéculation formelle n'est pas absente de ses extrapolations. Mais l'absence de réalisme, la conjonction de couleurs improbables et ludiques, le dessin de ces voiliers qui n'ont d'existence que dans la libre fantaisie de l'art contribuent à donner à leurs apparences un caractère mythologique très accentué.
Ce sont là autant d'objets surréalistes qui possèdent un grand pouvoir suggestif. Elle ne tient pas à en faire des paramètres de la beauté ou la saveur d'un journal de bord. Les aventures des célèbres explorateurs, de Jacob Lemaire à Magellan et à La Pérouse, sont inscrites en palimpseste dans ces créations. Et nous éprouvons un plaisir immense à les contempler car ils jouent sur des registres très ancrés en nous, tout particulièrement des moments lointains de l'enfance, mais aussi de tout ce qui nous a été impossible de faire. Il y a dans son monde intime bien des choses qui appartiennent à notre propre histoire. Elle est parvenue à réunir des songeries désormais enfouies dans notre inconscient, des lectures qui ont laissé leur marque sur notre esprit et les extraordinaires et courageuses entreprises de marins passés à la postérité pour leurs exploits et leurs découvertes sans pour autant oublier les traits distinctifs d'un esthétique qui nous saisit par son originalité patente et ce qui fait écho aux pionniers du constructivisme des années vingt et trente, mais avec ce je ne sais quoi de drolatique et de jubilatoire.
Joëlle Léandre versus Julien Blaine, Jean-Yves Bosseur.
Proz' & Po''M, Julien Blaine, Manifeste édition / Les lettres françaises, 196 p., 15 euro.
Tout commence dans cette confrontation joyeuse entre Joëlle Léandre et Julien Blaine par un portrait de Joëlle Léandre, violoncelliste, qui a fait ses études au conservatoire d'Aix-en-Provence. Elle a joué les pièces pour violoncelle seul de Bach. Puis elle s'est inscrite au Conservatoire national de Paris. Elle est initiée à l'oeuvre de Messian. Elle se considère comme une rebelle. Elle se confronte aux artistes modernes, de Marcel Duchamp à Josef Beuys. Elle fait la découverte de John Cage en lisant son livre, Silence. Elle adopte alors une attitude anarchiste, associant performance, improvisation et composition.
Elle se passionne sans réserve pour le jazz. Et elle rejette les hiérarchies traditionnelles. Elle obtient en 1976 une bourse pour entrer à l'université de Buffalo. Elle fait la connaissance de John Cage qui lui fait rencontrer Robert Rauschenberg. Elle n'hésite pas à avoir recours à l'électronique. Elle a aussi écrit des textes poétiques et a créé des oeuvres plastiques. Julien Blaine voit le jour à Rognac en 1942. Il a étudié à la faculté des Lettres d'Aix-en-Provence. Il a adopté le pseudonyme de Julien Blaine. Il a fondé sa première revue en 1962, Les Carnets d'Octéor. Il va s'installer à Paris en 1963. Il rencontre le peintre Arden Quin. Il a publié la revue Pirate en 1972 (elle n'a connu qu'un seul numéro). Il considère alors que poétique et politique ne font qu'un.
Puis il a fondé la revue Doc(k)s qui a duré plus de dix ans. Il a travaillé au Provençal à partir de 1987 et a collaboré avec Michel Butel à L'Autre Journal. Il devient l'adjoint à la culture du maire, Robert Vigouroux, en 1989. Par ailleurs, il a poursuivi une oeuvre poétique qui s'est vite traduite par des « Prestations ». C'est dire qu'il a abandonné les chemins traditionnels de l'écriture poétique. Depuis, il a exécuté de nombreuses performances, fait de nombreuses expositions et a publié un nombre impressionnant de recueils, pas autant qu'Alexandre Dumas, mais il n'a pas recours à des nègres ! Jean-Yves Bosseur analyse ensuite avec une grande minutie et aussi une grande sagacité les modes d'expression adoptés par ces deux créateurs. Il a su décrire par le détail leur manière d'aborder leurs domaines distinctifs, qui souvent se recoupent dans leur expression. C'est là un ouvrage indispensable pour comprendre la démarche de chacun d'eux en expliquant la particularité de leurs rapports excentriques aux différentes composantes de leur art qui excède toujours leurs limités antérieures.
Proz' & Po''m est d'abord une anthologie poétique de Julien Blaine. Un florilège, nous dit-on. Qu'on n'aille pas rechercher une quelconque analogie avec la poésie du passé. Les vers ne sont là que pour mettre en scène de longues listes de jeux de mots (dans tous les sens du terme) ou encore une respiration pour la lecture. On conçoit très rapidement que ces textes sont ludiques, mais ne sont pas pour autant des distractions. Leur aspect ludique est une façon propre à l'auteur de manifester sa rage et sa rogne, son indignation et son engagement pour une métamorphose de notre monde.
Un écrit en prose développe d'ailleurs sa conception transgressive - extrême - de la chose littéraire. Il lui arrive de composer une sorte de discours de la méthode (de sa méthode, tout autre qu'académique !) qui est aux antipodes de tout ce que nous reconnaissons comme une authentique oeuvre poétique. Il ne revendique aucun courant de pensée d'autrefois, et on peut le rapprocher de l'Album zutique auquel a collaboré Arthur Rimbaud ou encore à l'esprit du dadaïsme. Il n'a pas revêtu les hardes et les poses du poète ou du barde, mais a choisi de se présenter sous une forme carnavalesque même quand il traite de questions graves. C'est décapant en diable ! A ce festival burlesque, et pourtant à examiner avec soin pour en saisir la terrible dérision, il a ajouté des Notules inconséquentes (2018-2022) que Blaine présente comme étant le « Journal de Mme Mézière » qui est une sorte de manuel d'écriture et de lecture qui n'est pas destiné aux enfants, mais bel et bien à des adultes qui sont trop bien cultivés. Se dévoile ainsi un mode de voir les choses et d'envisager une autre poésie, qui est pur sacrilège.
Pour terminer, il nous délivre une « Ultime post-face qui aurait pu être une préface », où il offre les grandes lignes de sa philosophie - si l'on peut parler de philosophie dans son cas car il déteste cette sphère de la connaissance. Dirais-je que ce tout scriptural serait une sorte de testament provisoire ? Non. Ce n'est qu'un pro memoria de son parcours de ses tribulations ou le Grand Guignol se lie aux plus profondes plongées dans la réalité insupportable de notre temps. Un temps perdu et jamais retrouvé.
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Gérard-Georges Lemaire 28-11-2024 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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