Une « fantaisie politique », voilà comment la pièce de Jean-Marie Besset « De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron » (jusqu'au 9 mars au Théâtre Dejazet) nous est présentée... L'intrigue, que met en scène Lionel Courtot, est simple : c'est la nuit à l'Élysée, le président Macron s'endort sur un livre et fait un rêve dans lequel De Gaulle lui apparaît, un peu comme une figure de Juge avec laquelle il va devoir s'expliquer, se défendre même. Alors mon bon ami, êtes-vous bien à la hauteur que la France, le monde attendent de vous ?... Jean-Marie Besset, auteur de théâtre et traducteur, a cette particularité intéressante d'avoir été notamment formé à l'Institut d'études politiques de Paris. Ses références historiques sont nombreuses, précises et, lors de cet agréable divertissement, le spectateur trouvera une bonne occasion de réactualiser ses connaissances en histoire contemporaine. Et surtout de mesurer l'écart entre deux époques : celle où la France avait encore les moyens de sa souveraineté, et où, comme disait le Général, la politique ne se faisait pas à la corbeille (la Bourse) et celle, un demi-siècle plus tard, où « les marchés », les agences de notation, le cadre européen et les logiques de la mondialisation contraignent les politiques nationales. Mais ce qui peut paraître un spectacle distrayant (une joute oratoire, des anecdotes savoureuses, la ressemblance de Nicolas Vial avec Emmanuel Macron...) et un peu factice trouve une actualité inattendue avec la guerre actuelle de la Russie contre l'Ukraine. Une occasion pour Macron de s'inspirer de l'esprit de Résistance du Général et, avec ses alliés européens et anglais, de tenter de jouer un rôle historique à l'encontre d'un « allié américain » réticent, dans un monde qui bascule.
S'il est un texte politique qui a connu, et à juste titre, une immense renommée, sans être forcément lu (la langue du XVIe siècle en rend malaisée la lecture), c'est bien le Discours de la servitude volontaire, écrit vers l'âge de dix-sept ans ( !) par l'ami surdoué de Montaigne, Étienne de la Boétie (1530-1563). Tout tient déjà dans cet oxymore de « servitude volontaire ». Comment vouloir librement se mettre en situation de ne plus vouloir librement ? Et pourtant... Les leçons de l'Histoire nous apprennent ceci : lorsqu'un tyran, autocrate ou dictateur prend le pouvoir, il ne fait qu'user de ce dont tous les autres se démettent. En effet un seul homme n'a pas la force d'asservir une multitude si celle-ci ne s'est pas d'abord mise en état d'être asservie. Réflexion fondamentale de philosophie politique - et de psychologie sociale avant la lettre - dont aucun projet d'émancipation ne peut évidemment faire l'économie. Pour actualiser le texte magistral de la Boétie, L.M. Formentin l'a adapté à notre langue, simplifié, et illustré d'exemples récents (hélas il ne faut pas chercher bien loin !), Jacques Connort a assuré la mise en scène de ce spectacle court qui en est tiré (De la servitude volontaire au Théâtre Essaïon jusqu'au 27 avril), et Jean-Paul Farré, avec son talent d'acteur chevronné, interprète le sage, le conteur, le pédagogue ou peut-être La Boétie, avertissant le public de cette funeste dérive, toujours possible. La première cause de la servitude serait cette « coutume » bien installée de vivre dans une société hiérarchisée, apparue historiquement (origine de l'État en fait). Puis c'est l'inconscience par le divertissement (« panem et circenses »), l'ignorance et/ou la supersition religieuse, la possibilité d'être corrompue et/ou de jouir de micro-pouvoirs dans cette pyramide sociale... La Boétie amorce une étude psychosociologique qu'affineront plus tard un Elias Canetti (Masse et puissance) ou un Wilhem Reich (Psychologie de masse du fascisme). Alors politique ? Pas seulement...
Lorsque nous pensons à la politique, ne nous vient pas seulement à l'esprit cette lutte permanente pour le pouvoir juridique, mais aussi certains engagements personnels, corps et âme, de toute une existence. Et la bête blessée la regardait... Où est Rosa Luxemburg ? (jusqu'au 9 mars au Théâtre de l'Épée de bois) est un spectacle, émouvant et sobre, qui illustre avec force l'un de ces engagements. À travers une enquête fouillée, voici l'évocation très vivante d'une figure majeure du socialisme : Rosa Luxemburg (1870-1919). Sur une idée et un texte d'Aurélie Youlia, conçu et mis en scène par Inka Neubert, joué, chanté par Pierre Puy et Aurélie Youlia, ce moment de théâtre politique, belle collaboration franco-allemande, nous laisse entrevoir tout ce qui est impliqué, jusqu'au plus profond de soi, dans un engagement. Une pensée, des valeurs, une sensibilité intime et une attitude existentielle... Grâce à des extraits de sa correspondance, les souvenirs de son neveu Kazimierz, des anecdotes parlantes, quelques photographies, voici que ressuscite magiquement l'héroïne qui fut assassinée (en même temps que Karl Liebknecht), mutilée, puis jetée dans les eaux glacées du Landwehrkanal par les Corps-Francs commandités par Noske, ministre social-démocrate de la défense. Violence et politique !... Deux protagonistes sur la scène, encombrée de livres et documents, s'activent pour cerner la vérité d'une femme de son temps, exceptionnelle, mue par un idéal révolutionnaire, certes, mais aussi par un profond sentiment de la vie... Cette vie dont une blessure secrète et inguérissable est peut-être la cause de tout engagement politique.
|