Pulp fiction
par Max Guedj
Mais moi, passer l’éponge ? tu ne me connais donc pas ? je fis au mieux à l’éponge, et au pochoir (car je ne voulais pas vraiment t’effacer) subtiles traces, onctueux mélanges, ronds de ta bouche et tes dents, mais non mais non, rien de rien ne partit, un tableau format mon corps, et ce n’est pas de la métaphore, je ne mange pas de ce pain là. Mais toi idem, sans éponge de bain, avec la main : caressant sur toi mon torse (j’enlève tout sfumato érotique, ce n’est pas mon but : mon but c’est de me guérir, de digérer la douleur de ta perte), c’est sur moi quelque chose de tes seins qui à force de se pointer dans tous les sens avaient écrit des choses sur moi, les correspondances baudelairiennes y contribuant. Il paraissait toi la même chose sur toi avec mes poils et toutes productions de ma peau : exit donc le tatouage et ses affres roses ou verts, et autres jongleries. Tandis que ruissellent les larmes et leurs trainées rimmel, collages, empreintes, l’histoire pourrait s’arrêter là, nous ne serons pas les derniers à mourir sur des quais de gare où chacun dans son train plié et déplié voit s’éloigner l’autre et en meurt et en périt et se décime et crève, mais sans arrêt du cœur, juste la simple mort clinique.
Mais entre temps, les trains et les absences aidant, nous avions découvert que non seulement collés par la peau nous étions encore soudés par les sens et là c’est loin d’être une mince affaire. Car le papier que nous avions cru chose lisse, certes déchirable (et ça déjà c’est une tragédie : déchiré c’est bien torn apart, l’américain dit bien les choses) car le papier dont nous sommes faits loin d’être une surface est une pulpe, une moelle, et finies les simplettes empreintes de couleurs mélangées et les marivaudés collages ( si c’est collé tu décolles, regarde les avions, tu as bien vu à Mérignac), oh la cruelle réalité des choses de l’amour (car dans la soudure se fait un échange des matières, pas seulement des couleurs, tu me soudais, je te soudais aux sens, aux yeux et à l’ouïe, et aux odeurs de chair , et au tact et aux contacts et toutes espèces de cénesthésies, et toutes espèces d’hyperesthésies sans effets de shit) Résultat : depuis le jour en question (de vie et de mort) je n’ose plus me regarder dans une glace, la pulpe de ma chair que tu mâchais les yeux fermés, (bouche hérissée comme une bête mordeuse) est une horrible chose arrachée, est devenue un charnier de moelles , devenue un étal de boucherie , un mixte de nos deux viandes en lambeaux parmi lesquels je distingue encore des arrachures de ta peau de pêche mélangée à mes sanguinolences : mieux le peindre (au couteau) que le dire, qu’on ne pourrait plus séparer qu’à la force.
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