ID : 104
N°Verso : 69
L'artiste du mois : André-Pierre Arnal
Titre : Les supports d'André, les surfaces de Pierre et les peintures d'Arnal
Auteur(s) : par Marie-Domitille Porcheron
Date : 07/10/2013



Les supports d'André, les surfaces de Pierre et les peintures d'Arnal
par Marie-Domitille Porcheron

Le papier çà se déchire, çà se taille avec une paire de ciseaux, çà se découpe, çà se froisse, çà se plie, çà se colle sur bois, sur toile, sur papier. Çà se froisse et çà se ficelle, çà se pince vigoureusement après l’avoir plié et çà se déchire à peu près droit, çà se mouille pour y diffuser de l’encre noire ou colorée, çà se plie et çà se coupe avec un couteau, çà se range dans des cartons pour un temps indéterminé. Faut-il à ce moment évoquer l’art du tatouage ? »[3]

           Mais reprenons ce recto de la Carte pliable de 2010 qui est peint et devenu peinture. Des bleu de cobalt appuyés de rose et de mauve clair virent, obliquement orientés et respectueux des partitions rectangulaires du support, au violet foncé s’éclairent de gris soutenu foncent jusqu’à l’outremer débordent la Taride en étendant les territoires cette fois de la peinture. Ils ont été non passés mais appliqués sur la surface. Ou plutôt la surface s’est appliquée sur la matrice colorée. Travaillant souvent à l’envers et au sol, Arnal aime à se surprendre tout en guidant. Ces bleus paraissent par endroits un peu griffés. Ils créent des mares, des lacs, des étendues ovoïdes, pointues ou plus incertaines aux bords ourlés de luisances : les reliefs légers suscités par l’application et le séchage puis, après, le décollement de la matrice picturale. Apparaissent alors, car l’œil académique et occidental est imprégné d’images vécues et sues, de bondissantes grenouilles, des lévriers courant, des poissons morcelés, un bestiaire étrange à la Jérôme Bosch fourmillant au sein des tracés encore perceptibles rouge orangé et noir de Chine des voies, chemins, routes du papier marouflé beige, la surface où les noms de lieux devenus signes seraient le corps de multiples araignées ; ou encore comme si flottait, sur un fragment maîtrisé de territoire, l’infini des constellations du Chien, des Poissons, du Dauphin et du Serpent : l’au dessus des cartes. D’autres cartes essayent la réserve du support, laissent lisibles tracés et reliefs ou bien s’échancrent à intervalles réguliers, obliques, tandis que sensible à leurs nuances autant qu’à leur dessin s’y harmonisent, plus soutenues, les couleurs choisies par le peintre (fig. 2).

           L’attention au support, à la surface, à la couleur, à l’espace pictural à la matérialité, la construction, la déconstruction et la reconstruction de ceux-ci fait l’objet de la recherche picturale d’André-Pierre Arnal depuis les années Support(s)-Surface(s) de 1968 à 1974 [4] et, ajouterai-je, depuis le jour où le peintre commença ses « griffonnages ».

[3] André-Pierre Arnal, « Dans la pulpe du papier », dans André-Pierre Arnal. 50 ans de papier fait surface, Galerie Convergences/Galerie Intuiti, 2013, p. 25.
[4] À propos de Support(s)-Surface(s) quelle qu’en soit l’orthographe, proposons au lecteur Catherine Millet, L’Art contemporain en France, Paris, Flammarion, 1994, p. 123-155 ; Jean-Marc Poinsot, Support-Surface, Paris, Limage 2, 1983 ; Paul Ardenne, Art. L’Âge contemporain. Une histoire des Arts plastiques à la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 1997, p. 24, 25, 62-63 et, pour le lecteur pressé, Hervé Gauville, « Il était une fois Support(s)-Surface(s) » dans Libération, mardi 2 avril 1991, p. 43-44 ainsi que Claire Stoullig, « Supports-Surfaces, le tableau éclaté » dans Beaux-Arts n°88, Mars 1991, p. 60-69.

 

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