Les ciels brouillés de Denis Rivière
par Renaud Faroux
« J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages ! »
Baudelaire, « L’étranger » in Le Spleen de Paris
Sur le toit du monde au monastère de Sera au Tibet je me souviens de jeunes moines bouddhistes en toges carmin qui claquaient des mains pour s’interroger sur le sens des choses. L’un d’eux avait alors demandé comme un enfant curieux : « Pourquoi le ciel est-il bleu ? » Denis Rivière répond aujourd’hui majestueusement en peinture à sa question. Par son traitement des cieux il métamorphose le simple plafond quotidien en voûtes, dômes, coupoles éternels. L’artiste ne commente pas de façon simplement prosaïque le fait que la lumière du soleil est composée des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Quand elle traverse l’atmosphère, sa rencontre dans l’air de petites molécules diffuse surtout la couleur bleue. On pourrait croire que le peintre passe son temps la tête dans les nuages tant son traitement des nuées, du firmament nous donne à voir ce qui pour nous est invisible, ce qui va venir dans un imminent changement. Mais pas de questionnement sur la béatitude, le ravissement, la félicité, l’extase, l’empyrée d’une éventuelle calotte mystique. Le ciel en soit loué ! L’artiste décrypte le cosmos, l’espace, le zénith pour nous dire autre chose qu’un simple bulletin météo plutôt en aiguilleur du ciel, en climatologue du pinceau. Et le ciel m’en est témoin !
Lever les yeux là-haut pour y regarder passer les nuages et admirer les formes abstraites qu’y font leurs rencontres transitoires est une attitude bien romantique. Et c’est tout naturellement que viennent à l’esprit des bribes de textes de Baudelaire comme s’il avait pressenti qu’il trouverait en Denis Rivière « un frère d’élection ». Pour tous deux : « l’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. » Ailleurs encore, comme l’un des personnages du Spleen de Paris on contemple « les mouvances architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable ». Tel un voyageur fourbu que les merveilles des contrées lointaines n’ont pas durablement étonné et qui trouve moins d’intérêt à contempler « les plus riches cités, les plus grands paysages qui jamais ne contenaient l’attrait mystérieux de ceux que le hasard fait avec les nuages », l’artiste en rend compte comme de traces d’une évasion absolue.
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