ID : 130
N°Verso : 86
L'artiste du mois : Djoka Ivackovic
Titre : Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
Auteur(s) : par Jean-Luc Chalumeau
Date : 02/09/2015



L’Académie des Beaux-Arts de Serbie a ouvert le 30 septembre une grande exposition rétrospective à Djoka Ivackovic, qui développa son œuvre essentiellement à Paris. L’heure est donc venue d’envisager sa démarche purement abstraite dans toute sa richesse, sa complexité et son originalité.

Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
par Jean-Luc Chalumeau

Nous n’avons pas quitté le champ de la vérité par lequel nous avons commencé. Nous sommes parvenus à ce certain état de jubilation où nous plonge l’art d’Ivackovic, qui pour être décrit peut donc faire appel à une expérience d’ordre musical. Prenons par exemple l’allégresse exprimée par telle fugue de Bach : lorsque nous disons qu’elle nous ouvre le monde de Bach, le terme de « monde » que nous employons indique un rapport au réel. Or il n’y a pas d’images pour peupler ce monde, pas davantage de concepts pour l’inventorier, et cependant il est vrai. C’est parce que cette musique a une rigueur inéluctable que ce que j’éprouve n’est pas un sentiment : c’est quelque chose de plus profond et plus nécessaire, disons une révélation. A travers Bach, mais aussi Glenn Miller ou Benny Goodman tant appréciés par le peintre, c’est bien un réel qui s’exprime, et de même à travers une peinture d’Ivackovic un monde est là, qui n’a pas besoin d’être représenté. Il lui suffit d’être présent, non pas en tant que réservoir d’objets identifiables, mais en tant qu’être : un critique parisien a pu  comparer les tableaux d’Ivackovic, en 1980, à « un solo de batterie », et Nevena Martinovic parle non moins judicieusement de « musique plastique ». Observons ici que ce n’est pas par hasard qu’une des principales marchandes d’Ivackovic, Nane Stern, organisait des concerts dans la galerie pendant ses expositions. Et ce n’est pas par hasard non plus que Pierre Cabanne concluait sa préface de l’exposition de 1982 en ces termes : « Combat et chant à la fois, la peinture d’Ivackovic n’a peut-être qu’un unique thème : l’interrogation de l’infini. » Je me souviens que le Tableau 16 juin 1981, 148 x 150 cm  était accroché à cette exposition, un tableau fort proche de celui dont je serai plus tard l’heureux bénéficiaire : nul doute qu’il s’affirmait à la fois comme combat et comme chant. C’est par sa qualité intrinsèque que ce tableau se présentait comme du dedans de lui-même. L’art portait sur le réel pour y épanouir sa vérité : le beau était là le signe du vrai, et l’on comprenait que rien n’est vrai que le beau. Il était démontré que l’objet esthétique selon Djoka Ivackovic assume à sa manière la fonction originelle de la vérité, qui est de précéder le réel pour l’éclairer, et jamais pour le répéter.

S’il est vrai que la musique pure révèle l’essentiel du réel sans que nous ayons à anticiper sur les objets qui lui donnent corps, si elle nous apporte la signification avant les signes, le monde avant les choses, de la même manière on pourra parler à propos d’Ivackovic de peinture pure. Cette peinture a renoncé au sujet (d’ailleurs, les tableaux n’ont pour titre que leur date, comme chez Soulages), mais elle n’a pas renoncé, bien au contraire, à être vraie. Ainsi l’objet esthétique selon Djoka Ivackovic est-il vrai avant d’être vérifié. Vrai par rapport au réel parce que vrai par rapport à lui-même : nous éprouvons sa vérité à l’élégance de sa réalisation ; tant de rigueur ne peut nous tromper. On a cherché à placer la peinture d’Ivackovic dans divers mouvements, particulièrement l’expressionnisme abstrait. Pourquoi pas ? Si faire du sensible un langage authentique qui revienne à la fonction originelle de l’expression, c’est-à-dire qui opère ce miracle donnant à ce sensible une plénitude et une nécessité qui ne doivent rien à la logique, et qui sont la marque du style, alors Ivackovic est certainement un authentique expressionniste abstrait. Il n’empêche : avant d’aller plus loin, il n’est sans doute pas inutile de préciser qui l’a baptisé ainsi le premier et dans quelles circonstances.

 

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