Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
par Jean-Luc Chalumeau
La bibliographie d’Ivackovic prouve que, dès son arrivée à Paris, plusieurs critiques remarquèrent ses œuvres présentées par la galerie Le Soleil dans la tête en 1963 : Jean-Jacques Lévêque naturellement, qui était personnellement lié à cette galerie, mais aussi Michel Ragon, grand spécialiste de l’art abstrait, et Gérald Gassiot-Talabot. Cependant, la rencontre décisive eut lieu en 1965, quand Ivackovic participa à la Biennale de Paris, dite Biennale des jeunes. Il faisait partie du groupe de « huit jeunes peintres sélectionnés par la jeune critique », dont rendit immédiatement compte Raoul-Jean Moulin dans Les Lettres Françaises. Mais Ivackovic fut surtout remarqué par Georges Boudaille, lui aussi collaborateur des Lettres Françaises, membre du comité de la Biennale (dont il deviendrait le délégué général à partir de 1971) et spécialiste de l’expressionnisme (il publierait en 1976 un livre sur « les peintres expressionnistes »). Boudaille devint à ce moment l’ami et le mentor du jeune peintre yougoslave. Notons au passage que pour cette édition 1965, le prix de la Biennale fut attribué à un autre yougoslave, Vladimir Velickovic, ce qui décida ce dernier à s’établir définitivement à Paris dès l’année suivante. Mais Ivackovic, franchement abstrait par tempérament, ne s’intégra pas au groupe des « yougos de Paris » comptant alors notamment Dado, Ljuba et Velickovic qui pratiquaient différents types de figuration. Il se lia plutôt à un peintre comme le français Michel Tyszblat, lui aussi musicien (il restera un excellent pianiste de jazz jusqu’à sa mort) et lui aussi proche de Georges Boudaille.
Je me souviens que, dans les années 80, Djoka organisait des dîners chez lui, grâce aux qualités de sa femme Arlette qui était notamment une excellente cuisinière. Il y avait là, outre moi-même et mon épouse Estelle, Michel et Josette Tyszblat ainsi que Georges Boudaille et sa compagne Anne Dagbert (une de mes anciennes étudiantes qui faisait alors ses premières armes de critique d’art dans la revue Art Press). Boudaille, né en 1925, abordait la soixantaine et nous en imposait par son expérience et surtout par son autorité et sa faconde. Marxiste viscéral (les Lettres Françaises dirigées par Aragon étaient l’organe culturel officiel du parti communiste), il soupçonnait volontiers chacun d’avoir des penchants petits-bourgeois, ce qui posait parfois des problèmes diplomatiques à la maîtresse de maison, qui d’ailleurs s’en sortait fort bien. Nous parlions de tout avec gaieté, mais bien sûr surtout de peinture. Pour Boudaille, hormis Courbet et Picasso, peintres « de gauche » sur l’œuvre desquels il avait travaillé avec admiration, n’existaient que les abstraits (la véritable avant-garde selon lui), de préférence expressionnistes ou lyriques (l’abstraction dite lyrique étant une variante de l’expressionnisme). Les autres ne méritaient que sarcasmes.
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