Ivackovic, ou la voie vers l'absolu
par Jean-Luc Chalumeau
« L’abstraction a montré qu’elle était la communication picturale la plus universelle. Elle est indépendante, isolée de la vision, de la représentation, d’une association plus ou moins définie avec le monde visible, qui relie l’esprit du créateur comme de l’observateur, et rend plus difficile de pénétrer jusqu’à l’essence, jusqu’au dialogue avec le contexte des qualités plastiques. Je considère que le langage de l’art abstrait, dans les conditions d’engagement exceptionnel et de sensibilité dans le domaine de la communication plastique, est la seule voie vers l’absolu. » (entretien avec Irina Subotic)
En regard de ce passage, dans le texte cité, figurait le Tableau 9 avril 1974. Est-ce un hasard ? L’œuvre donne l’impression d’une irrésistible marche légèrement descendante, de gauche à droite. Ne serait-ce pas typiquement (comme dans la plupart des tableaux d’Ivackovic) une manifestation du temps qui vient animer l’espace pictural ? Le temps ici, appartient à la structure même du tableau sous les espèces du mouvement. Disons qu’en peinture, le mouvement est la face de l’espace tournée vers le temps. Chez Ivackovic, il est important de distinguer le mouvement de sa trajectoire. Le mouvement est bien entendu une aventure temporelle, mais il peut laisser un sillage, une trajectoire, et c’est cette dernière que le peintre s’emploie à rendre visible. N’est-ce pas Bergson qui, dans L’évolution créatrice, invitait à considérer la trajectoire comme détente de la durée, comme relâchement d’un rythme ? Combien d’œuvres d’Ivackovic, comme par exemple le Tableau 11 mai 1976 pourraient être intitulées « relâchement d’un rythme » s’il fallait leur donner un nom ! Les nombreuses variantes de trajectoires, y compris celles qui semblent enfermées dans une structure carrée, représentent le temps. Chez Ivackovic l’espace pictural est temporalisé car il se donne toujours à nous comme un espace structuré et orienté, où certaines lignes privilégiées constituent des trajectoires, grosses d’un mouvement qu’elles accomplissent dans l’immobile.
Mais, puisque l’immense majorité des œuvres d’Ivackovic sont de format carré, et qu’à l’intérieur de certaines d’entre elles nous distinguons des structures elles-mêmes carrées, animées par différents types de sillages, nous dirons que ces tableaux ne peuvent manifester le mouvement prisonnier dans l’immobile que si une conscience est capable, en la déchiffrant, de rompre l’enchantement qui tient le mouvement captif. N’est-ce pas cela que l’artiste nomme « communication plastique » ?
précédent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 suite