France Mitrofanoff, ou la plénitude du sensible
par Jean-Luc Chalumeau
Ainsi, l’art de Mitrofanoff ne saurait être lui-même qu’en renonçant à imiter le caractère de réalité du réel. De toute façon, quand bien même elle le voudrait, son représenté serait évidemment toujours affecté d’un moins par rapport à la réalité. Lorsque l’un de ses tableaux dit des troncs d’arbres, il ne produit pas en lui le réel, il ne le copie pas non plus, mais en le disant, il le découvre. Et ce qu’il découvre, c’est un sens du réel qu’il exprime : sens vrai en tant qu’il est la dimension affective à travers laquelle le réel peut apparaître.
Le superbe triptyque intitulé Ballade fonctionne infiniment mieux s’il est regardé comme le déroulement d’une temporalité plutôt que s’il est déchiffré en tant que description d’une forêt. Il est vrai que le propre des grandes œuvres est de s’offrir à plusieurs niveaux d’interprétation sans risquer le moindre dommage. Toujours est-il que ce n’est pas le représenté lui-même, ou lui seul, qui me donne accès au réel, c’est bien plutôt le sentiment que l’œuvre éveille en moi, dont l’élément représentatif ne peut certes être séparé, mais qui n’est pas l’objet premier de l’œuvre. Car la vérité du Chant de la forêt ou de Contre-jour n’est pas dans ce qu’il raconte, mais dans la manière dont il le raconte, et le réel qu’il éclaire n’est finalement pas celui qu’il représente.
L’objet esthétique forgé par France Mitrofanoff est vrai avant d’être vérifié, d’une part parce qu’il est vrai par rapport au réel et d’autre part parce qu’il est vrai par rapport à lui-même, d’où la merveilleuse opération de l’art : il fait du sensible un langage authentique qui revient à la fonction originelle de l’expression parce qu’il donne à ce sensible une plénitude qui ne doit rien à la logique et tout au style.
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