Le microcosme onirique de Solange Galazzo
par Gérard-Georges Lemaire
Il avait un curieux mélange de sauvagerie dans les teintes et les formes et d’ordre dans de subtils arrangements décoratifs. L’une ne saurait d’ailleurs exister sans l’autre. Vassili Kandinsky avait su apprendre qu’il ne fallait pas placer de frontières entre les arts, ceux qu’on dit majeurs et ceux qu’on déclare mineurs (les artistes de l’Art nouveau comme ceux des diverses Sécessions d’Europe centrale avaient déjà établi ce principe dans une optique bien lointaine de celle du peintre russe). Il l’apprend aussi bien dans les isbas de son pays natal qu’avec la tradition de la peinture sur verre en Bavière avant d’aller découvrir l’étape décisive de l’abstraction en Afrique du Nord.
Solange Galazzo ne cultive ni l’impression de déjà vu ni une sorte de nostalgie secrète pour ce qui appartient déjà au passé. Au contraire. Elle s’est emparée de tout ce qui pouvait lui être utile dans ce jadis fiévreux pour imaginer des représentations à la fois audacieuses et sensuelles. Il est évident qu’elle n’alla rien puiser dans le cubisme ou dans le néoplasticisme. C’était l’inverse de ce qu’elle pouvait aimer. Elle a choisi d’être plus proche du Douanier Rousseau que de Braque, de Chaïm Soutine que des suprématistes, de Matisse que de Juan Gris. Elle est portée sur le versant de l’excès et de la démesure, du dionysiaque et non de l’apollinien, sauf en de rares occasions. Au risque de choquer les amateurs de rapports minimalistes. Il n’est rien dans sa peinture qui ne soit un excès ou une extravagance. Mais ce qu’elle inscrit avec passion sur la surface de la toile est paradoxalement bien mesuré et parfaitement en équilibre. En sorte que ses débordements sont assez contenus pour ne pas être une pure ivresse, mais aussi une suggestion de luxe, calme et volupté, comme le suggérait le poète.
Elle est épicurienne au plein sens du terme : ce n’est pas la seule jouissance qu’elle recherche, mais une pleine adhésion au vivant et à la dynamique des astres qui nous dominent, une intelligence des trois règnes terrestres dont elle fait partie intégrante et enfin une affirmation de sa féminité, sans fausse pudeur, mais sans non plus d’effronterie ou de ressentiment. Mais elle n’a pas le besoin, comme l’ont eu Berthe Morisot, May Cassatt ou Eva Gonzalès de se réfugier dans l’intimité familiale pour être une femme. Elle n’a pas été tentée de relater son autobiographie comme Frida Kalho. En tout cas pas d’une manière directe et explicite. S’il fallait la rapprocher d’un peintre du beau sexe, ce serait peut-être de Georgia O’Keeffe. Et aussi de Rosa Bonheur, non pour les sujets et leur traitement, loin s’en faut, mais pour la force, l’énergie, de la liberté de s’affirmer telle qu’en elle-même la peinture la change.
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