ID : 133
N°Verso : 89
L'artiste du mois : Solange Galazzo
Titre : Le microcosme onirique de Solange Galazzo
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 30/12/2015



Url : solangegalazzo2014.com

Solange Galazzo est peintre, rien que peintre, et il n’est pas utile de demander quel genre de peinture elle pratique : il y a des villes, des paysages, des figures dans son œuvre, des hommes, des femmes et des anges, des nuits aussi, exposées naguère chez Lélia Mordoch qui avait trouvé une jolie formule pour les présenter : « Poétique et mystérieuse, Solange Galazzo se joue de l’obscurité telle une princesse des ténèbres au pinceau de lumière ». Depuis lors, elle a exposé ses travaux sur toile notamment au Mexique (Musée Régional d’Art et de Culture de Querétaro) mais aussi ses peintures sur céramique au Couvent des Cordeliers de Châteauroux. Aujourd’hui, elle poursuit silencieusement son œuvre dans son vaste atelier normand. On n’en dira pas plus sur cette « princesse des ténèbres » car la vérité de son œuvre est dans l’œuvre et non point dans les circonstances de la création, dans la personnalité de son auteur ou dans le projet qui y préside. Gérard-Georges Lemaire, qui accompagne sa création depuis longtemps, donne ci-dessous quelques clefs pour en approcher la vérité.

J.-L. C.

Le microcosme onirique de Solange Galazzo
par Gérard-Georges Lemaire

A la rencontre de Franz Kafka

Quand elle s’est retrouvée devant la nécessité de choisir un texte de Franz Kafka pour le traduire dans son propre langage (et non pas l’illustrer), elle a longuement réfléchi et puis elle a finalement choisi deux nouvelles, étroitement liées l’une à l’autre, « la Taupe géante » et « le Terrier ». Je ne sais pas ce qui l’a conduit à les préférer à d’autre. Qu’il y ait un animal en jeu ? C’est possible.
Sans doute est-ce la conjonction d’un élément, la terre, et d’un animal le plus souvent invisible qui l’a attirée. Je ne peux le jurer, mais c’est probable. J’ignore aussi ce qui a poussé Kafka à traiter cette question. Je m’étais demandé s’il n’avait pas lu l’Histoire Naturelle de Georges-Louis Leclerc de Buffon. Mais je ne me souviens pas avoir vu cet ouvrage qui se trouvait dans sa bibliothèque (j’ai vu cette bibliothèque, reconstituée à l’identique par un collectionneur allemand et ensuite donné à la communauté juive de Prague) et je ne l’ai pas non plus trouvé dans le recensement de Max Brod. Mais Kafka se faisait prêté des livres par ses amis et n’était pas particulièrement bibliophile. L’analogie est cependant frappante, d’autant plus que Buffon, en dehors d’être un styliste remarquable, tenait toujours à manifester son sentiment à l’égard de telle ou telle bête, qu’il pouvait plus ou moins aimé. L’approche de Kafka est assez comparable à celle du grand naturaliste français : il explique la stratégie de la taupe pour sa survie avec ses galeries complexes, labyrinthiques, ce qui représente un sens stratégique plutôt développé. En dépit de ses efforts et leur efficacité, elle doit sans cesse refaire ses plans de peur d’être découverte. En sorte qu’elle vit dans une angoisse permanente qui la force à se déplacer. Kafka y a perçu la métaphore de son esprit, dont la quête est celle d’un insomniaque qui doit inexorablement aller de l’avant sans jamais pouvoir discerner ce qui devrait être son but.
Solange Galazzo a transposé cette histoire qui est plutôt une méditation sur un état de l’être selon plusieurs procédures. La première a été de fournir des images fortes de ce lieu qui, a priori, nous ne pourrions voir. Un exercice mental en somme. Mais très matériel. Dans une toile, elle choisit une gamme chaude, dans une autre, une gamme froide, avec des bleus et des bruns, et plus tard, elle a tenté de nous faire éprouvé les sensations que distille le sol des sous-bois où nichent les petites colonies de ces bestioles charmantes. Cette fois, on est face à un plan de couleurs allant du rouge au bleu, avec l’impression de tendres reliefs et d’une humidité pénétrante. C’est sous ce tapis constitué surtout de feuilles et de résidus végétaux qu’elles parviennent à trouver refuge. Enfin elle a peint un homme taupe, qui possède à la fois quelque chose qui est une intelligence affutée et, aussi, une solitude qui est le fruit d’une peur qui ne le quitte jamais. Kafka a humanisé sa taupe, tout comme Buffon.

 

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