Le microcosme onirique de Solange Galazzo
par Gérard-Georges Lemaire
Elle ne s’est pas arrêtée là. Elle a eu l’idée de fabriquer des toiles d’une conception peu commune, puisqu’elle consiste en plusieurs strates de toiles qu’elle a ajouré chaque fois selon un dessin différent. L’animal apparaît au fond de cette cache, ou non. Ce sont donc là des tableaux reliefs qui ne sont pas déterminés par des raisons strictement formelles, mais pour des motifs conceptuels. En sorte qu’au fil de ces recherches elle est parvenue à restituer un nombre non indifférent de situations décrites par l’auteur sans jamais proposer une explication précise. Sa pénétration de l’écrit est plus intense qu’on pourrait le croire à première vue. Et puis elle a continué sur le papier avec des encres ou des lavis où la physionomie de ses taupes se confond avec les formes qui se découpent autour d’elles. Ou alors, elle a fait tout son possible pour que ce travail en noir et blanc finisse par constituer un dédale inextricable.
C’est une approche très fine et subtile des œuvres de Franz Kafka qui se situent toujours entre le réel et l’irréel et qui servent de paradigmes à une lecture de notre monde dont le mouvement est aussi excitant qu’il peut se révéler décevant. Cette double connotation est présente dans cette collection de pièces qui ont été réalisées à partir de l’an 2006. Indéniablement, c’est une rencontre de poids entre deux sensibilités assez distantes et qui ont fini par se rejoindre dans les souterrains.
Son intérêt pour les œuvres de Franz Kafka ne s’est pas limité à ces deux superbes morceaux de littérature. Elle a aussi voulu interpréter à sa manière (à la fois avec le respect absolu du texte et une transposition esthétique d’une absolue liberté) « la Métamorphose », nouvelle que nous avions tous étudiée au lycée. Sa lecture est d’une grande originalité et l’œuvre qui en a résulté est une longue installation composée de neuf panneaux où le rouge est une couleur dominante. La transformation du jeune héros, Grégoire Samsa, en un insecte rampant (un insecte dont l’espèce n’est pas précisée) se traduit ici par une sensation de mue lente et inexorable qui ne semble plus avoir de terme. Ce n’est plus vraiment un insecte sans nom, mais un serpent exotique, qui ondule dans l’espace, qui passe d’un topos au suivant, d’une case de la mémoire à l’autre, en exhibant un corps monstrueux. Ainsi, elle a exécuté une composition qui pourrait implicitement se développer, comme si le jeune garçon avait été condamné à vivre cette transformation pendant une période illimitée.
Enfin, elle s’est prise d’affection pour un autre personnage de Kafka et pour son petit peuple de souris, Joséphine la cantatrice. Elle en a tiré un merveilleux film vidéo. Et des lavis à l’encre de Chine drôles et émouvants.
En définitive, Solange Galazzo a été prise à son tour par cette contagion pragoise et s’est plongé dans le monde de Franz Kafka pour ne plus vraiment l’abandonner. La quête de l’écrivain a dès lors fait partie de sa quête intérieure et n’a plus cessé de l’enrichir.
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