Le sang métaphorique de Dominique Renson
par Jean-Luc Chalumeau
J’écrivais il y a une quinzaine d’années que les visages et les corps peints par Dominique Renson sont d’une cruauté extrême. Rien de changé aujourd’hui : peut-être même que la cruauté picturale s’est accentuée. Nous avons choisi de présenter dans ce 91eme numéro de Verso une vingtaine de tableaux les plus récents qui se répartissent en trois séries : VERTIGE (ce sont les figures debout), LES AFFAMEES (ce sont les femmes attablées) et NATURES MORTES. Dominique Renson avait indiqué naguère que c’est par impuissance de peindre « comme Velasquez » qu’elle en est venue à sa propre manière de peindre « ce qui est ». Tant mieux, car le peintre sait bien que ce qui est, c’est ce qu’elle perçoit, non ce que les autres voient ou croient voir. Nous savons, nous, qu’il faut beaucoup de talent et une forte dose de travail pour traduire cette perception. L’artiste nous enseigne donc à percevoir à notre tour, et nous apercevons que ce qui est là, sur la toile, est bien plus riche, bien plus fort, bien plus ambigu que ce que nous livre habituellement notre premier regard sur les êtres et les choses.
Nous avons besoin de la peinture pour saisir la vérité des êtres, qui est souvent poignante. La photographie ou la vidéo peuvent parfois s’en approcher, mais c’est parce que, dans ce cas, le photographe ou le vidéaste est lui-même avant tout peintre. « Peinture à l’huile sur toile de lin enduite de colle de peau de lapin – technique traditionnelle » indique sobrement Dominique Renson.
Elle pourrait dire aussi : « préemption par la peinture d’un être réel, dans sa présence mais aussi dans son devenir, c’est-à-dire la mort ». La lignée dans laquelle s’inscrit avec une impressionnante aisance Dominique Renson est celle de Giacometti et non pas celle de l’hyperréalisme, on l’a compris. Aller plus loin que ce que nos yeux nous disent du réel, c’est présenter de manière palpable ce que l’être observé éprouve au plus profond. C’est l’inscrire dans la durée, non dans l’instant qui passe. Allons, la peinture a encore de beaux jours devant elle ! A condition bien sûr qu’elle s’intéresse à ce qu’elle seule peut dire (que ses procédés techniques de production ne diront jamais).
Dominique Renson ne parle peut-être pas des autres avec tant d’éloquence que pour nous livrer une part d’elle-même. Ces images ne sont-elles pas d’autant plus dures qu’elles auraient commencé par blesser le peintre ? Les constats de Dominique Renson sont rien moins que neutres, ou froids. Ils sont violemment engagés dans une réalité à laquelle on ne se frotte pas impunément. Littéralement, ces toiles saignent. L’émotion de celui qui les regardera sera d’autant plus grande qu’il comprendra que c’est du sang métaphorique de l’artiste qu’il est question, non de celui du modèle.