Raffinement contre rusticité (et vice versa)
par Frédéric Bodet
Mais alors pourquoi ces vases de fleurs surgissent-ils aujourd’hui dans une œuvre aussi résolument engagée dans le champ de la sculpture ? Clémence van Lunen nous rappelle opportunément sa passion pour la poterie utilitaire, dont elle a appris toutes les techniques en Espagne, dans des villages de potiers traditionnels. De retour en France, elle a même installé, durant une courte période, son propre atelier de poterie dans le Tarn. Elle a arrêté deux ans plus tard cette activité artisanale en considérant impossible de justifier sa vision populaire et quasiment anonyme de la fabrication, avec des prix accessibles, dans une société où le développement économique incite à tours plus de sophistication, de luxe et de création de « marchés de niches ». Elle s’est donc tournée vers la sculpture, en apprenant à tailler la pierre et le bois, notamment lors de séjours au Japon. « Finie la terre ! », en tout cas pour un moment. Mais lorsqu’elle se promène dans les musées, l’artiste reste toujours aussi attirée par les collections archéologiques, où la présence de nombreuses poteries révèle des usages et des rituels qui la font rêver…
Grâce aux Wicked Flowers, ses amours contrariées entre poterie et sculpture ont donc trouvé une résolution heureuse. C’est la fameuse distance introduite par le questionnement spatial, matériel et idéologique, de la sculpture qui a permis à Clémence van Lunen de reparler librement du répertoire formel de la poterie, de sa longue histoire, de sa simplicité et de sa fantaisie. Quel plaisir de pouvoir enfin parler d’une sculpture comme on évoquerait un vase de fleurs disposées de façon modeste (« comme dans un pot de confitures transformé d’une manière recherchée, comme dans les vases d’apparat ! Et c’est vrai que le champ est immense : certaines de ses sculptures en deux parties semblent inspirées par les fameux « complets » (des vasques sur colonnes, souvent de la fabrique Massier à Vallauris) très en vogue à la fin du XIXe siècle, ou bien encore de certains « bouquets de mariés » en Porcelaine de Paris, dans l’esprit kitsch du Second Empire, ou bien des porcelaines de Capodimonte en Italie surchargées d’ornementations.
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