ID : 157
N°Verso : 107
L'artiste du mois : Véronique Bigo
Titre : Dans l'image et au-delà
Visite critique de l'expo de Véronique Bigo au MBA Marseille.
Auteur(s) : par Athénaïs Rezette
Date : 13/02/2018



Url : bigoveronique.com/

Retour sur les histoires d’eaux

Le 7 décembre dernier, la lettre hebdomadaire était consacrée à un fait peu banal : la ville de Marseille invite actuellement dans tous ses musées Véronique Bigo à intervenir picturalement (jusqu’au 11 février). Au musée des Beaux Arts en particulier, ses dialogues avec les maîtres (Le Guerchin, Courbet, Ingres…) ont une saveur particulière, sur laquelle revient aujourd’hui Athénaïs Rezette. C’est l’occasion de donner des images nécessaires de l’exposition Histoires d’eaux que ne proposait pas le lien signalé en décembre.

Jean-Luc Chalumeau

Dans l'image et au-delà
Visite critique de l'expo de Véronique Bigo au MBA Marseille.
par Athénaïs Rezette

Autant dire tout de suite que l’examen commence mal. La première toile que rencontre le visiteur du musée en pénétrant dans la galerie principale du rez-de-chaussée est un chef d’œuvre du Guerchin, le Caton d’Utique. Aucune trace d’un corps liquide dans cette image, même si le sang du stoïcien va bientôt couler. Pourtant Véronique Bigo l’a élue, obligeant d’emblée l’œil du spectateur à chercher dans l’œuvre l’épée fatale qu’il ne trouvera pas. Ensuite, il - en fait c’est moi, donc je -, je reviens à l’étroite et haute peinture juxtaposée de V. Bigo qui ne montre que le bras droit du fils de Caton qu’elle a tatoué. Je reviens à la toile du Guerchin. C’est vrai, la gestuelle est bizarre. Le bras, isolé, pourrait être celui d’un nageur, ce qu’en a fait d’ailleurs notre lilloise. Je pense à En nageant, la toile de Pauline Bétrancourt que j’ai commentée il y a quelques années, et puis à la pose, étrange aussi, du Narcisse de Caravage que j’avais citée à l’époque. Au départ du bras nu, blanc, blême, mon œil circule sur le groupe des deux personnages centraux - il ne s’est pas dispersé ! - et c’est la posture du fils qui m’interpelle. Elle me rappelle celle d’Alexandre le Grand face à la reine des Amazones dans le tableau de Pierre Mignard au musée Calvet d’Avignon. Troublant rapprochement entre l’image d’un homme qui veut se donner la mort et celle d’une femme qui veut donner la vie.

Passons maintenant à la grande salle de l’étage. Intéressons-nous à un petit tableau d’Ingres, une copie de trois des personnages du célèbre Eliezer et Rébecca de Poussin conservé au Louvre. Juste en dessous, Véronique Bigo a accroché sa toile, exactement de mêmes dimensions. L’œuvre représente uniquement, privée de ses protomés, l’hydrie déposée au pied de la protagoniste principale de l’épisode biblique. Sur la panse perlent quelques gouttes et se manifeste le parapluie surmonté du verre d’eau des Vacances de Hegel. Une anomalie arrête mon regard. Si le motif magrittien était peint sur la paroi du récipient, il serait bombé. En fait, d’une manière proche des conventions de la peinture égyptienne, V. Bigo a signifié simultanément le contenu et le contenant, habile récupération au demeurant de la syntaxe surréaliste. Le vase et l’eau qu’il transporte sont donc bien ici au centre du propos de l’artiste contemporaine. Mais au passage elle nous rappelle que la toile d’Ingres n’est qu’une étude. De part et d’autre de son propre tableau, elle a disposé symétriquement deux carrés monochromes se faisant pendant horizontalement : les complémentaires rouge/vert et bleu/orange. Un œil sur le tableau d’Ingres pour constater que ce sont les quatre couleurs que l’ancien élève de David a utilisées pour les vêtements des trois femmes. Trois femmes debout au plus près de la margelle d’un puits, et quatre vases. Immédiatement j’ai l’œil attiré par l’attitude du personnage de gauche qui, sans du tout regarder à ce qu’il fait, verse l’eau d’une amphore pile dans l’orifice exigu d’une autre posée à terre. Qu’est-ce que c’est que ce truc baroque ? Hop ! la tablette et direction le Louvre. Le tableau du peintre philosophe se révèle dans toute son étendue. Hé oui, la distraite n’est pas seule : une compagne intervient pour arrêter la bévue. Voilà donc l’explication. Je reste accrochée au tableau de Pointel et les souvenirs de cours refont surface : les douze jeunes personnes aux visages semblables et impersonnels, la prouesse du peintre de leur avoir imprimé douze expressions différentes au moyen des seuls yeux et bouche, l’ingéniosité dans la création des douze coiffures, et les fameux dix vases qui pour la plupart n’ont rien à faire près d’un puits. Et puis il y a, sur son piédestal, la sphère - inévitable bouteille à encre pour exégètes - que je ne peux m’empêcher de toiser sur mon écran. Mais avec cette idée de cruche en tête, un détail que je n’avais jamais vu me saute aux yeux : à gauche du chapiteau, au loin, qui doit être énorme en fait, un autre vase posé sur un massif tambour. Il n’y a guère de doute : il doit s’agir d’une sculpture funéraire dominant une nécropole aux confins de la cité. Le tableau de Poussin a été interprété de plusieurs façons, mais peut-être jamais comme recelant un memento mori. Elle est indispensable à la vie l’eau que l’on puise, transporte et boit dans des vases. Pour autant elle n’empêchera pas… Mais à ce moment là encore sa force apotropaïque en recommandera l’usage. Somme toute, la destinée humaine est une histoire d’eau.

 

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