Les « digérants » de Marc Giai-Miniet
par Yak Rivais
C’est à cette démolition/construction que procède Marc Giai-Miniet. Iconoclaste ? Barbare ? Non. Il dépoussière, façon Jarry avec sa pompe à phynance, et il se dépoussière. Comment marche l’homme ? La société ? L’art ? Tu bouffes, tu consommes, tu défèques, donc tu traverses un peu de temps : tu vis, tu as duré. Tout ce que fait l’homme a besoin d’énergie. Il marche, il parle, il peint, il pense, il crée, donc il consomme. Et si c’était l’inverse ? Par exemple : il consomme, donc il pense et il crée. Il n’est même pas libre de ne pas le faire. Diogène, à qui l’on demandait à quelle heure l’homme doit se repaître, répondait, cynique : « Le riche, quand il aura faim ; le pauvre quand il aura de quoi ».
Une question reste en suspens. Nous avons évoqué l’incipit. Pourquoi Marc Giai-Miniet fait des boîtes. Nous l’avons montré ailleurs, l’incipit littéraire n’a rien à voir avec l’incipit pictural. L’incipit littéraire est de l’ordre du concept. (Exemple : « Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage » contient déjà TOUTE la fable : oiseau laid, abri, nourriture. Cette phrase incipitale est grosse de tout ce qui suivra, et surtout du message subliminal, qui force La Fontaine à produire sa fable : amateur de mots, Monsieur, apprenez ce qui vaut le plus. Ce message caché, l’écrivain le porte, il faut qu’il sorte. Il ne mettra le point final à son œuvre que lorsqu’il l’y aura placé –sans le mesurer consciemment. Ici, le message s’adresse à Louis XIV d’abord, à tout lecteur ensuite, car le lecteur avale le poison dissimulé dans l’oeuvre, sous peine de ne pas adhérer à celle-ci. ) En peinture, l’incipit reste diffus, sans porte de sortie, ses termes sont juxtaposés. Mais il faut qu’il sorte également ; fait de confrontations. Ici : coupe d’immeuble, étagères, noir et blanc, culture, machine à consommer/ transformer, machine à voyager. Le désir d’incipit peut alors se cristalliser dans une idée « d’écriture » : la lecture des boîtes de gauche à droite et de haut en bas annexe ici évidemment la page du livre. La comparaison s’arrête là. Le livre n’est ni l’arme du peintre, ni son champ de manœuvre. Louis Pons, par exemple, ou Jacques Brissot, commençant un jour ancien à placer des objets au lieu de les dessiner, ne s’efforçaient-ils pas de cerner un incipit de catégorie « littéraire » ? Entendons Marc Giai-Miniet : « Je ne dirai pas ça pour moi : j’ai une idée, je cherche un objet qui va donner corps à cette idée, mais ce n’est pas l’objet qui crée l’idée. L’objet est soumis, transformé, trituré pour exprimer l’idée ». Cela l’exonère-t-il de son rôle inducteur ? Cela empêche-t-il l’association d’objets de mettre de l’ordre en suscitant le désordre, vers un nouvel ordre transcendé ? Cette démarche, cette technique relèvent du collage, au meilleur sens du mot. La création s’insère dans une hypothèque du tangible, AUTOUR des objets éprouvés. Littérairement : en amont et en aval. Plastiquement en confrontation- puzzle, chaque élément susceptible de rééquilibrer l’ensemble à tout moment.
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