Les « digérants » de Marc Giai-Miniet
par Yak Rivais
La démarche, en se ménageant le pouvoir de préserver la pulsion aussi longtemps que possible en cours de création, se trouve une légitimité plus forte que l’invocation de tropes « métaphysiques ». C’est à la chaîne vitale que l’œuvre se consume : dans l’interdit de la chaudière. Idéaux et pulsions, tout communique. Pas une société Big Brother ; une société du Ventre. Un autodafé permanent. La pompe marche. L’immeuble est un Moloch, un Ogre pour petits enfants. Les boîtes se lisent de haut en bas, mais privilège de l’art et de l’incipit disséminé, l’œil peut se promener à la convenance du « lecteur ». Le fonctionnement des « digérants » occulte-t-il la notion de pouvoir du livre, le désir de spiritualité face au broyage ? Le problème d’une résistance de l’esprit à la captation d’énergie ne se pose pas vraiment. C’est au contraire la qualité de résistance qui alimente l’usine. Qualité nécessaire : sans elle, l’énergie resterait médiocre. « Et toi qui manges-tu, grouillant ? Je mange le velu qui digère le pulpeux qui ronge le rampant »…écrivait Norge. La machine a besoin de cette « spiritualité » pour ne pas tarauder à sec. Ce sont cette recherche, cette créativité, cette résistance, qui font sa pâture-même. Elle ne se sustenterait pas de semblants, ni de vieilleries conformistes. L’homme accède à l’esprit par nécessité biologique. Ses pensées les plus aiguës seules renferment assez d’énergie pour entretenir, et pour apaiser la machine. Un échange. « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ». Le jouet doit fonctionner sans retour pour affronter le constat du Caligula de Camus : « C’est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter »… « Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux ».
L’homme vit, agit : full speed ahead ! Il s’alimente et il consomme. Entre idées qui l’élèvent et déchets, il résiste, il dure. Il brûle. Il consomme ce qu’il a de plus cher et de plus précieux pour que la machine propulse le navire vers son néant. Et la machine le dévore, le pousse à créer sans limites. Les boîtes de Marc Giai-Miniet sont aujourd’hui au stade d’un fonctionnement tranquille, apparemment en équilibre, mais d’un équilibre à reconquérir pas à pas, en crémaillère. Tout se paie. Derrière les leurres et les brouillards métaphysiques, la machine elle-même secrète le grain de sable susceptible d’enclencher le mécanisme auto-destructeur kafkaïen: le dysfonctionnement fait déjà partie de sa réalité « digérante ».
Yak Rivais
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