Made in India (2006)
par Jean-Luc Chalumeau
Fred Kleinberg est animé par une certitude : la cruauté du réel va au-delà de ce que peut concevoir l’homme. Dire le monde, ce serait trouver les moyens de suggérer que, justement, il n’est pas dicible. Kant pensait-il à autre chose lorsqu’il énonçait que l’art consiste à « présenter qu’il y a de l’imprésentable » ? Peut-être, mais il pensait à cela aussi, que le travail de peintre de Fred Kleinberg tente de « présenter » aujourd’hui. Il me semble que la peinture de Fred Kleinberg est une peinture de vérité, parce qu’elle est vraie à trois niveaux : par rapport à elle-même, par rapport à l’artiste, et par rapport à son contenu.
Un tableau de Fred Kleinberg, par exemple s’il appartient à la série inspirée par l’Inde du temps du tsunami, répond par avance à tous les « pourquoi », étant entendu que la réponse ne saurait appartenir à l’ordre de l’entendement : c’est dans le sensible qu’il nous plonge et c’est à un acquiescement du corps qu’il invite. La forme est sûre et juste : on est d’autant plus perméable à cette vérité de la peinture venue de la rigueur du sensible que l’on perçoit aussi une vérité par rapport à l’artiste.
Il semble en effet que Fred Kleinberg travaille sous l’emprise de deux nécessités, l’une d’ordre technique et l’autre d’ordre quasi spirituel. On ressent fortement, devant ces grandes compositions expressionnistes, que, pour le peintre, faire et être sont une seule et même chose. Enfin, les tableaux de Kleinberg contiennent une troisième vérité : celle de leur contenu. L’artiste ne parle que de qui le concerne dans le monde, il n’a rien à démontrer (la peinture n’est pas une science) mais il a à montrer ce qui ne peut être décrit. Or, ce qui le concerne dans le monde est d’abord la misère du monde, d’où une rage visible, - la rage de peindre, cela existe ! – une rage telle que les tableaux de Fred Kleinberg apportent une signification avant les signes, offrent un monde avant les choses. Oui, décidément, une peinture de vérité comme il en est peu d’exemples aujourd’hui.