Valérie Rauchbach ou les temps réconciliés
par François Bouvier
Que découvrons-nous en effet ? D’abord il y a ce sable, qui forme la matière même des tableaux. Beaucoup d’artistes en ont introduit auparavant dans la matrice de leur œuvre. Mais ils la mêlent aux autres matériaux, alors qu’ici il est l’objet premier de la peinture. Il nous y confronte au temps long, le temps de la Terre, de sa construction, de sa violence turbulente, de sa destruction. Roche détritique, le sable nous évoque avec évidence ses origines : sable blanc des plages, sable jaune continental, sable rose des déserts, sable noir volcanique. Ce dernier, ici matière primordiale, est remonté des profondeurs du magma, du cœur même de la planète, en ces coulées de laves primaires, basaltes ou verres, désagrégées peu à peu par l’érosion, cette érosion qui était déjà au cœur de l’installation des « pins de sable », œuvre de 1995, à Uzeste. Au temps géologique des convulsions terrestres faisant remonter à la surface ses matières primordiales, aussi vieilles que ses origines, s’ajoute celui de leur lente destruction à une échelle longue. Au sein de cette obscurité des microcristaux brillants rehaussent le support et intriguent le regard. Ils existent grâce à des poches de refroidissement plus lent, où ils ont pu prendre le temps de se former au sein de la coulée originelle. Leur contribution à la profondeur du noir nous fait plonger encore plus avant dans ce temps long du monde.
Au dessus (ou en position sous-jacente ?) de la matière, il y a les sujets, qui tous évoquent des temps plus courts. Temps historiques, avec ces grands personnages, influents du cours des événements, qui nous interpellent du haut de leur cadre ; temps de la superficialité adoratrice des stars, mais aussi de la mémoire qui en retient l’image gravée ; temps de la vie, mais aussi de la mort : mort du taureau dans l’arène, notre mortalité que nous rappellent les « vanités ». Temps de l’écriture, temps de la patience. Par-dessus se greffent les temps courts : temps du regard échangé avec le portrait, regard profond, pénétrant, inquisiteur parfois. Temps du dialogue muet avec l’œuvre, temps insistant qui nous conduit à prolonger notre contemplation du tableau, confrontation artistique où cet « essentiel » dont parle Renoir nous apparaît compréhensible.
Et pui, il y a cet instantané de la disparition, le « vu » et le « non vu » de Paul Virilio. Thème récurrent dans le travail de Valérie Rauchbach, il nous est offert dans le relief de ses tableaux : il suffit d’un peu de lumière pour qu’apparaisse ou s’évanouisse la présence obsédante des représentations, dans un réalisme non naturel, comme le disait paradoxalement Dufy. Œuvre totalement, complètement éloignée des modes et résolument post-tendances, pourtant totalement subversive puisque traversée par toutes les temporalités. Non seulement l’artiste réunit en un ensemble cohérent tous les niveaux de temps enfin réconciliés, mais elle nous en donne la maîtrise complète. Nous décidons seuls quand voir et quand rompre le regard, liberté ultime donnée à notre émotion. Echappatoire momentané à la mort que nous destine Pierre Levy.
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