« Le Corps ressent l’espace »
par Jean-Philippe Domecq
De la terre jusqu’au ciel, plutôt que « Sur la terre comme aux Cieux », dit la prière, encore que la prière soit rite de concentration, et de concentration les profanes ont autant besoin que les autres. Nadia Ghiaï-Far en tout cas sonde la nature et le corps comme elle a le ciel en tête. Ce n’est pas la perspective cavalière, pour le coup, mais la vision d’autant plus rapprochée qu’elle a le point focal lointain, au fond du regard. Du boîtier crânien, qui vaut bien la voûte dite céleste, dans une configuration à tout le moins analogue, vortex humain épousant vortex de l’espace infini, sans quoi l’homme n’aurait jamais fait aucune découverte dans la matière, ne serait jamais tombé juste, n’aurait jamais projeté aucune modélisation qui tombe pile sur ce qu’il cherche à discerner dans la matière qui lui est étrangère – la nature – comme dans la matière intime.
Dès lors, les fusains de Nadia Ghiaï-Far déclinent différents états de la matière. En faisant défiler ces séries de fusains, au fur et à mesure nous voyons : les fleurs s’ouvrir, les écorces enclore, frissonner des nervures d’ailes translucides, des vertèbres s’imbriquer, des toiles d’insectes ignorées, des tracés de lèvres s’épanouir pour s’évanouir – tout un monde d’ondes, en fait et de plus en plus dans les fusains récents. C’est ainsi, en dessinant le relevé des ondes, qui laissent toujours leurs traces et empreintes dans l’espace comme sur la rétine puis dans la chambre d’impression du crâne, que cette artiste relève, prélève, saisit au passage ce qui effectivement se passe entre le monde extérieur et le monde intérieur – ces deux directions de ce qu’on appelle, improprement au singulier, « la » réalité. Qui passe. Comme nous devant, dedans.
Qui dit passage dit entre deux, ainsi qu’énoncé au début. L’œuvre que parcourt Nadia Ghiaï-Far, je dis bien qu’elle parcourt, car l’œuvre est un monde qui se révèle en même temps que le monde où nous vivons, cette œuvre donc se situe bien à la crête. D’où la réponse, en écho de celle de Rothko : la représentation ? Rien que de l’abstrait...
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