Griffes et plumes
par Isabelle Monod-Fontaine
Elle semble en tout cas répondre à la sommation du poète André Breton (lui-même très marqué par Novalis ou Nerval), et à sa célèbre formule, fondatrice du surréalisme : « L’œuvre plastique […] se référera à un modèle purement intérieur ou ne sera pas. » (Le Surréalisme et la peinture, 1925) Et, tout particulièrement dans le domaine du dessin, elle se sert bien d’un mode de travail favorisé par la plupart des surréalistes, l’automatisme psychique, défini ainsi par Breton dès 1924 : « Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » (Manifeste du surréalisme) Même s’il s’agit pour elle d’une forme d’automatisme moins radicale, moins volontariste, je crois qu’elle se laisse conduire par les formes suggérées par les passages du fusain – gestes lents ou rapides, frottages légers ou aplats plus pesants – sans idée préconçue, se dirigeant à l’instinct jusqu’à ce que soit révélée une « image » (comment dire autrement) qui la satisfasse. C’est chaque fois la description d’un état d’être, d’un paysage intérieur, d’une chimère venue du plus profond du corps…Une sismographie, une sensibilité écorchée qui fait feu de tout bois, des tracés d’un automatisme rêveur, comme de la liberté des associations d’images. Toute liberté est laissée aussi au spectateur, et si je vois ici des épines ou des griffes, si je repère plus loin la douceur plumeuse d’une aile, ou le velours rêche d’un pelage, vous y lirez, vous, d’autres éléments, des évocations qui vous sont personnelles et auxquelles sans doute l’artiste n’a jamais songé. C’est en ce sens que ses dessins rejoignent pour moi la famille surréaliste, entendue au sens le plus large. Je pense notamment à Henri Michaux, poète et peintre (ou plutôt dessinateur), jamais inféodé aux formations successives du groupe dirigé par Breton. Explorateur en tous sens de « l’espace du dedans », il a donné naissance grâce à de multiples techniques (frottage, aquarelle, dessins automatiques) à tout un monde de créatures fugitives, d’improbables simulacres, d’« apparitions fabuleuses de la vie mentale » aux textures difficilement identifiables. Ce monde-là, tout intérieur, situé dans l’entredeux du rêve et de l’affirmation d’une présence puissamment organique, c’est aussi celui de Nadia Ghiaï-Far. Elle l’a peuplé différemment, elle est passée évidemment par d’autres chemins, par d’autres caprices, s’est inventé un langage visuel tout personnel, mais elle aussi habite de préférence « l’espace du dedans ».
septembre 2012
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