ID : 33
N°Verso : 65
Les Artistes et les Expos
Titre : Un art qui vaut son pesant d'or : Vitantonio Russo imagine une mise en scène esthétique et ironique des relations de l'art et de l'économie
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 12/10/2012



« Economic-Art, Gain from Trade », Vitantonio Russo, commissariat de Lucrezia De Domizio Durini et de Massimo Riposati, Limenotto9cinque Arte Contemporanea, Rome.

Catalogue : Edizioni Carte Segrete, texte de Lucrezia De Domizio Durini, s.p., 45 €.

Un art qui vaut son pesant d'or : Vitantonio Russo imagine une mise en scène esthétique et ironique des relations de l'art et de l'économie
par Gérard-Georges Lemaire

Dans sa préface, Lucrezia de Domizio Durini a parfaitement mis en relief le fait que toucher à l’économie n’est pas se contenter de contempler et de discuter une matière fermée sur elle-même et par conséquent neutre et autonome : « Pour Russo, l’évolution d’une Société, qui est aussi l’évolution du système économique, est toujours étroitement liée aux mutations de ces valeurs qui gouvernent et déterminent la vision même du monde. » C’est bien que fait l’artiste dans ces œuvres qui paraissent si inoffensives et si peu caustiques à première vue. Le Grand effondrement Wall Street 1929/1979 est un tableau qui montre une courbe descendante (une descente brutale), le reste de la surface dorée d’une part et blanche de l’autre étant recouvert d’inscription plus ou moins lisible qui transforme une littérature technique en graffiti. Le Cash Flow (2012) est une grande installation avec quatre tables renversées et peintes en or, toutes rattachées les unes aux autres et portant sur le plateau des graphiques peu compréhensibles. Ce renversement n’est pas qu’allégorique ou symbolique – c’est le drame que nous vivons en ce moment à une échelle planétaire et qui est traduit par ce tremblement de terre qui a jeté) bas les fondements de la Loi du marché international. La formule est simple et efficace. Mais plus on l’analyse, plus elle devient complexe car elle n’est pas indépendante des autres œuvres : elle constitue un moment décisif d’un continuum inexorable décrit ailleurs. Parmi les grandes constantes, il y a celle de la thésaurisation. Gain Sharing (2012) montre un coffre (on dirait un coffre de pirate dans une bande dessinée américaine !) lui aussi peint en or : le couvercle à moitié soulevé laisse apparaître d’autres graphiques qui renvoient, par exemple à des petits tableaux comme Drawing Rights (2012). En somme, tout est en relation permanente dans ses créations, et si une œuvre peut exister en soi et pour soi, son déchiffrage ne peut être envisagé que dans un tout – un tout à son tour en mouvement perpétuel ! L’humour et la parodie ne manque pas dans cette exposition : la pelle dorée baptisée Revolving Credit (une des causes des problèmes actuels) qui ramasse des pièce d’or nous remet en mémoire et Duchamp et Beuys et Haacke ! Enfin, l’artiste a produit de plus en plus des œuvres qui sont des pièces de monnaie ou utilise des pièces. Day of Grace (2012) est particulièrement intéressant dans ce sens car ces « pièces de monnaies » de différentes taille évoquent tout à la fois un trésor de pirates de l’Ile au trésor de Stevenson (d’où le coffre !), des morceaux d’instruments anciens d’astronomie et de la Monkey’s Money » (monnaie de singe), dorée comme il se doit. L’interpénétration de ces points de vue engendre des visions qui s’emboîtent les unes dans les autres. Ce qui en fait de vrais sujets de méditation. Enfin Economic Abstract, formulary 3 (2012) est une satire muette des calculs effectués par les gouvernants, les maîtres de la finance, les conseillers et les professeurs d’université.

        Vitantonio Russo a certainement été un grand précurseur, sans nul doute stimulé par les conseils de Joseph Beuys qui lui a donné de précieux conseils quand ils se sont rencontrés, comme le rappelle Lucrezia di Domizio Durini. Mais c’est surtout un grand créateur, injustement ignoré par les soi-disant connaisseurs de l’art contemporain. Je verrai une salle pleine de ses œuvres au palazzo Grassi de Venise ou à la punta della Dogana, à la place de Jeff Koons ou de Takashi Murakami.

 

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