Mes moires
par Pierre Corcos
Le quatrième souvenir... Rien ne vient. Ou plus exactement du noir, de l'obscur. Ce n'est pas tant que ça remonte à loin, non, mais plutôt que la scène était envahie d'obscurité. On se trouvait en Norvège, dans cette saison où la journée est si courte qu'elle semble une discrète excuse en face de la nuit toute-puissante... Il s'agit d'un couple assez âgé, déjà enfermé dans le ressassement. Leur fils (je ne me souviens pas du tout du visage du fils, mais de celui du père, interprété par Michel Aumont, et de celui d'un voisin, interprété par Jean-Marc Stehlé) revient après une longue absence, et l'on ne sait pas s'il a fait de la prison, ou bien s'il a voulu s'échapper de ce monde crépusculaire, mourant, en jouant de la musique et voyageant... Je me rappelle l'extrême minceur de l'intrigue et, du coup, la force évocatrice du dramaturge : Jon Fosse. Avec presque rien, il arrivait ainsi à produire cette atmosphère enveloppante, parfois oppressante, où les mots deviennent des choses qui tombent sur un lac d'huile sombre, en ouvrant de larges ondes. Au fond, que cette pièce demeure ainsi dans ma mémoire, cela ne m'étonne pas... En effet, ce qui est clairement significatif vient prendre logiquement sa place dans la chaîne mobile des associations conscientes et a de fortes chances d'être oublié, ou seulement convoqué à l'instant où cette signification-là est requise. Tandis qu'avec Le Fils de Jon Fosse, dans la mise en scène de Jacques Lassalle, la signification s'estompe au profit de la présence, de la surprésence, de la seule opacité de l'"être-là". Dès lors, ce théâtre demeure à part, émergeant de la mémoire comme un objet inclassé, à la fois évident et mystérieux.
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