Faust d'Alexander Sokourov :
par Julian Starke
Un gros plan du visage de la belle jeune femme nous est offert nimbé d’une lumière jaune d’œuf très marquée et très douce qui déréalise le moment et l’extrait de tout cadre spatio-temporel.
Le son joue un rôle principal dans cet instant quasi-onirique, ce plan survient au milieu d’une conversation et tout à coup le dialogue s’arrête, les lèvres ne bougent plus et seul la respiration de Marguerite est audible.
En créant cet espace indéfini dans l’ordre du réel, le réalisateur arrive à capter et à retransmettre une émotion du personnage principal.
De l’extérieur nous n’aurions pu voir qu’un regard béat de la part de Faust mais ici nous voyons et ressentons la même chose que lui, on fait l’expérience d’être lui pendant ces quelques secondes.
On comprend qu’il y a là aussi un élément de réponse à sa question éternelle, où se trouve l’âme si ce n’est dans l’amour et la beauté candide d’une jeune femme semble dire Faust.
Cette question n’est-elle pas celle qui a régit nos civilisations, cultures, philosophies religions et arts ?
C’est la quête de l’au delà, la transcendance de nos vie. Il est impossible de situer le film à une époque et à un lieu comme pour dire que, malgré l’existence romancée de ce docteur douteux, les questions soulevées sont intemporelles et universelles.
Humble, Sokourov ne propose pas de réponse définitive. Il nous offre matière à réflexion pour que chacun se forge son avis. Les images sont pleines de métaphores et significations.
Bruno Delbonnel nous confie que même après la collaboration avec le maître Russe il ne pourrait expliquer chacun des choix, mais une chose est sûre, « jamais un plan n’est beau sans raison ».
On pense notamment à la fin du film quand Mauricius emmène Faust dans un voyage vers l’enfer, un lieu désert et caillouteux. On y retrouve d’autres personnages qui eux aussi, ont vendu leurs âmes et tentent de happer le docteur dans leur état végétatif ; mais la volonté de celui-ci est plus forte. Après s’être extirpé de ce magma de corps emmêlés, il se débarrasse de Mauricius et continue sa marche dans ce non lieu, seul à présent. Le plan s’élève et l’on découvre un paysage montagneux, recouvert de neige blanche qui fait frontière avec l’enfer.
Sa quête l’a mené à la mort, mais ce n’est qu’un détail car sa vie sur terre n’a d’autre sens que de tendre vers l’au delà. Cela lui a permis de dépasser l’enfer pour aller vers un horizon solitaire mais blanc.
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