ID : 39
N°Verso : 65
Les Artistes et les Expos
Titre : Louis Soutter, un langage singulier
Auteur(s) : par Marie-Noëlle Doutreix
Date : 12/10/2012


L’exposition Louis Soutter, le tremblement de la modernité s’invite jusqu’au 23 septembre 2012 à la Maison rouge, Fondation Antoine de Galbert.

Au sein d’une forêt d’ombres
Tant de corps agités
Peuplant des scènes brutes
Obscènes et ancestrales,
Nous vient une rumeur
Qui sourde nous avale,
Enfante le soleil noir
De nos complicités

François Dellaca-Minot, 2012

Louis Soutter, un langage singulier
par Marie-Noëlle Doutreix

Les portraits de femmes grotesques occupent une large place dans l’œuvre dessinée de Soutter, ainsi que les scènes religieuses et les dessins ornementaux, parfois à la limite de l’abstrait. Un autre style de dessins attire ici notre attention par la composition atypique qu’ils proposent. Tourment, Le fil des idées, et Fil ténu tu nous soutiens sur l’abîme des erreurs de la corde animal, respectivement réalisés en 1925, 1928 et 1934 peuvent être rapprochés à la fois par leur sujet, les jeux de lignes et le traitement de l’espace. Ils témoignent cependant d’une évolution dans la représentation du corps. Ainsi, si les corps dans Tourment s’avèrent déjà courbés ils n’ont pas encore une allure anguleuse et torturée. Les traits noirs qui les cernent se font ici moins appuyés et les figures semblent se fondre dans un tout homogène presque apaisé. La scène de corps nus flottant dans des poses maniérées comme dans un même espace céleste rappelle à notre esprit le Jugement dernier de Michel Ange. Cependant il n’y a ici point de décor pour ces êtres livrés à eux-mêmes, à la fois isolés et entassés. Dans les deux dessins suivants de 1928 et 1934, les corps se durcissent et se nouent dans un vide assombri. Au sein de ces trois dessins, les lignes semblent hésiter entre les figures, et s’inscrire dans une continuité formelle, se prolongeant au-delà des corps.

Si l’art est communication, que dire de l’œuvre de Louis Soutter ? L’art brut auquel l’artiste a été rapproché notamment pour sa personnalité excentrique et pour avoir réalisé ses œuvres dans un asile, semble significatif de l’art comme communication. Ainsi, non pas parce que tout objet est communication ou parce que tout acte, artistique ou non, l’est de même, mais bien parce qu’il s’agit du moyen d’expression privilégié voir unique de ces artistes atypiques, l’art brut se pose comme une expérience saisissante de l’art comme langage. Par sa formation et son rang social, Louis Soutter n’a pas été reconnu comme un artiste de l’art brute, cependant la singularité de son œuvre atteste que la culture ne constitue pas un obstacle à l’authenticité de la création. Le dessin et la peinture acquièrent ainsi une dimension vitale pour Soutter, ils sont ici une communication de soi à soi, un langage pour se comprendre et être entendu. Michel Thévoz écrit à ce propos : « Il a inventé de toutes pièces un style propre à convertir sa vérité singulière en une forme supérieure de communication ».[4]

[4] Michel Thévoz, Louis Soutter, l’Age d’Homme, Poche Suisse, 1990.

 

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