Sensus communis. À propos des photographies de Philippe Monsel
par Luc Ferry
Enfin, dans la Critique de la faculté de juger, Kant jettera les bases d'une conception du goût qui dépasse cette opposition du rationalisme et du matérialisme pour fonder l'essentiel des théories du génie reprises par le romantisme. Le beau n'est ni le vrai, comme le pensent les classiques, ni l'agréable, ce qui plait seulement aux organes sensoriels sur le modèle de l’art culinaire, comme le veulent les empiristes. La preuve ? On ne peut, en matière de goût, rien démontrer, ce qui suffit à indiquer qu'il ne relève pas de la vérité. Mais en revanche, ce qui le distingue de l'agréable, c'est que, en un paradoxe dont toute l'esthétique kantienne tentera de donner la clef, on peut en discuter, comme s'il était possible, ce qui n'a pas lieu dans la cuisine, de donner des arguments en faveur ou au détriment d'un jugement de goût. Dans cette perspective, le beau sera défini comme un intermédiaire entre la nature et l'esprit, entre l'intelligible et le sensible, ou plutôt comme une sorte de réconciliation miraculeuse des deux, tout se passant comme si le sensible, de et par lui même, faisait signe vers des significations idéelles. Ainsi d'un choral de Bach par exemple : comme une histoire qu'on raconterait à un enfant, il possède un commencement, un développement et une fin, il peut être triste ou serein, tumultueux ou calme, exprimer de nombreux états de l'âme. Mais toutes ces significations, que nous parvenons parfois à conceptualiser, sont engendrées par des phénomènes purement sensibles : il n'est, dans la musique, aucun mot, aucun concept, aucune image, aucune représentation intellectuelle de quelque nature que ce soit. Tout y est "matériel", et pourtant ce matériel fait sens, devient de lui-même intelligible. Telle est l'alchimie miraculeuse de l'art qui nous pousse à l'analyser, à en parler, à en discuter même avec passion...sans jamais pouvoir parvenir pour autant à la moindre preuve.
J’aime à penser, connaissant Philippe Monsel et sa foi en l’humanité, que c’est cela qu’il a réussi à capter et non cette stupidité qu’on prête si facilement aux autres pour s’élever soi-même comme par contraste - élitisme qui me semble toujours une peu trop facile pour être honnête. C’est le phénomène du sens commun, du sensus communis, qui transparaît dans ces images, et quelle que soit l’explication qu’on en donne, c’est bien du propre de l’art qu’il s’agit, de sa grandeur, de sa capacité à relier les êtres, et non de la prétendue niaiserie des foules démocratiques.
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