Banditi dell’Arte, une ontologie
par Marie-Noëlle Doutreix
L’exposition Banditi dell’Arte, rassemble des créateurs Italiens répartis symboliquement en deux groupes, et littéralement sur deux niveaux. Le rez-de-chaussée accueille la création en hôpital psychiatrique et en atelier d’expression libre tandis que le premier étage reçoit l’art populaire contemporain et les environnements fantastiques[5]. Y aurait-il ici l’idée que l’acte créateur apparaissant chez un sujet psychopathologique constitue un critère formel supplémentaire par rapport au fait d’être « seulement » indépendant du système artistique ? L’art pathologique et l’art populaire représenteraient-ils deux ensembles distincts et homogènes malgré leur spontanéité commune ? « Expression primitive et intuition pure ne sont pas seulement l’apanage des fous » lance John Maizels[6], et la Halle Saint Pierre semble s’accorder à cette idée. Ainsi les précédentes expositions British outsider art, Art Brut Japonais, et Hey ! modern art & pop culture débordaient de l’art pathologique pour embrasser d’autres formes artistiques marginales. Alors dans quelle démarche s’inscrit cette classification des œuvres ? En regardant attentivement, celle-ci n’est pas totale, certaines créations d’individus internés étant à l’étage et vice versa. Les choix scénographiques respectifs aux deux niveaux contrastent fortement. Ainsi, si l’espace d’art pathologique prend forme au sein d’une lumière tamisée, entre un plafond noir et une moquette tout aussi sombre, les œuvres d’art populaire baignent, elles, dans une éclatante lumière renforcée par des murs blancs. Beaucoup d’œuvres se côtoient dans ces deux configurations circulaires, mais chacune semble avoir été mise en valeur avec beaucoup de soin.
Les artistes exposés sont peu connus au delà des amateurs et spécialistes d’art singulier, d’autant plus qu’en Italie ce type de travaux acquiert moins l’attention des professionnels. Les œuvres apparaissent ainsi inégales en termes d’aboutissement et pourtant l’ensemble impose sa cohérence au sein de l’exposition. Le spectateur comprend ainsi intuitivement que la richesse de l’art « hors normes » tient aussi dans la variété de ses procédés, de ses matériaux et de l’histoire de ses auteurs. Tissu, toile, carton, feuille de dessin, poterie, paille, pierre, bois, objet utilitaire, déchet, constituent autant de supports à l’inventivité, que l’exposition prend soin de refléter. Cet aspect conjoncturel, de l’individu créant avec ce qu’il a sous la main, a été assimilé par Claude Lévi-Strauss, et repris ensuite par Marielle Magliozzi, au terme de « bricolage »[7]. Le bricolage devient ainsi au sens anthropologique un travail dont la technique est improvisée, adaptée aux matériaux, aux circonstances[8]. Pour Marielle Magliozzi l’action de bricoler est le résultat d’une démarche raisonnée et concertée, mais non soumise à des règles théoriques. Cette notion s’applique assez bien à l’art populaire mais plus difficilement à l’art pathologique. La nuance résiderait-elle dans cet interstice ?
[5] Texte de présentation de l’exposition par la Halle Saint Pierre sur son site internet.
[6] John Maizels, L’art brut, l’art outsider et au delà, Phaidon, 2003.
[7] Marielle Magliozzi, Art brut, architectures marginales, Un art du bricolage, L’écarlate, L’Harmattan, 2008
[8]
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