L'art et le cyclisme
par Leonardo Arrighi
III Jean Metzinger à la recherche de la dissolution dans la quatrième dimension
Un épisode de la vie de Jean Metzinger reportée par ce dernier dans son journal résume de manière incomparable la relation qu’il a eu avec la bicyclette, et offre surtout un exemple frappant de la charge d’énergie nécessaire pour ^parcourir les sentiers accidentés de la création intellectuelle. C’est entre la fin de 1911 et le début de 1912 qu’on peut dater le pari qui a été fait entre Gleizes, Villon (Duchamp) et Metzinger : les deux premiers soutenaient que leur collègue et ami n’était pas capable de couvrir 100 km de suite sans jamais s’arrêter, alors que le dernier s’était convaincu du contraire. Un journaliste proposa comme théâtre de ce défi le Vélodrome d’hiver : cela aurait été plus facile pour les spectateurs de suivre la régularité de l’entreprise. Ce choix ne rendit pas la tâche de Metzinger aisée car, comme le savaient les experts, le cyclisme sur piste ne permet la moindre récupération physique et soumet l’athlète à un effort constant. Metzinger remporta le pari et démontra que non seulement il était bien entraîné, mais qu’il était prêt à payer de sa personne pour mettre en en évidence les sensations propres aux excursions cyclistes.
Le Cycliste, Le Coureur, Au vélodrome sont trois œuvres de Metzinger présentées au sein de cette exposition. L’observation attentive de ces tableaux permet de constater qu’il les a réalisés dans un bref intervalle de temps en 1912, et nous prouve que sa sensibilité a évolué. L’augmentation progressive de la transparence du corps du cycliste le révèle. Dans la première, l’athlète (Octave Lapize, vainqueur du Tour de France en 1910 avec le dossard n°4 et de trois éditions du Paris-Roubaix), est montré dans toute sa prestance physique mise en évidence par la solidité formelle de caractère cubiste. Dans Le Coureur (toujours Octave Lapize comme modèle), le corps de l’homme sur la selle commence à se dissoudre, laissant émerger le monde environnant. Au vélodrome campe les derniers mètres du de XVIIe édition du Paris-Roubaix où Charles Crupelandt (le coureur au centre de la composition) l’emporte sur Gustave Garrigou, dont on voit la roue postérieure dans un sprint final serré. Le corps du cycliste devient presque transparent et sa fusion avec la réalité qui l’entoure est complète. La recherche de la représentation de la quatrième dimension (le numéro 4 revient toujours) ne peut pas être accomplie, car sa propriété essentielle est d’être insaisissable ; cependant, grâce à cette œuvre, Metzinger éclaire de manière irréfutable comment l’individu en mouvement n’appartient pas à un lieu, mais à l’élan qui l’anime.
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