Censure prise
par Pierre Corcos
La véritable question reste le prix que nous donnons à ces qualités de l’esprit. Pensons-nous encore, en ce début de 21ème siècle, que la plus haute valeur au monde soit l’esprit libre, comme le posait le philosophe Alain ? N’avons-nous pas, subrepticement, baissé la garde ?... L’humanisme n’a-t-il pas été trop relativisé, l’esprit des Lumières trop critiqué ? L’axiomatique du capitalisme n’a-t-elle pas nivelé toutes les valeurs éthiques - y compris son propre « libéralisme politique » - dans l’indifférenciation de l’échange marchand, et/ou préféré le consensus commercial à la moindre prise de risque ?... Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à défendre la contestation, l’irrévérence, la saine raillerie ? N’y-a-t-il pas même, dans notre inconscient social, une sourde aspiration à l’ordre, à un nouvel ordre, voire au religieux (cf. la prophétie d’André Malaraux sur ce siècle qui devrait être religieux), une crispation identitaire face à la mondialisation désordonnée ?... L’intolérance religieuse est plus présente aujourd’hui qu’il y a trente ou quarante ans, il faut bien le constater. Alors que, pourtant, aujourd’hui, le « culturellement correct » règne dans les arts comme dans les médias globalement : une auto-censure prudente - pour ne pas déranger le consensus mou, les communautés susceptibles, le nerveux audimat, les fanatiques de tous bords - s’est incrustée chez nombre d’artistes, d’intellectuels et de journalistes. Mais, si nous passions en revue quelques spectacles, un peu dérangeants, que nous avons vus ces derniers temps, nous serions effarés par le rapide et facile biais par lequel ils pourraient être, un jour, soumis à condamnation et menace de censure par tel groupe religieux, tel mouvement réactionnaire...
Des Catholiques conservateurs seraient évidemment choqués par « La Rose tatouée » de Tennessee Williams, dans la mise en scène sensuelle de Benoît Lavigne et l’excitante interprétation de Cristiana Reali. Il y est surtout question de désirs féminins qui ne respectent ni la bienséance, ni la mémoire, ni les conventions religieuses. Désirs du Sud pourrait-on dire, chargés des effluves capiteux de la Sicile et de la Louisiane. L’héroïne, Serafina, en se livrant corps et âme à celui, démon qui la possède, qu’elle a dans la peau, témoigne d’une sorte de paganisme exaspérant le prêtre de cette communauté italo-américaine. Quand elle apprend qu’elle était cyniquement trompée par son amant adoré, c’est avec la même rage du désir que la volcanique Serafina se donne à un inconnu de passage, piétinant un deuil n’ayant que les apparences de la vertu. Toute la pièce, marquée par le thème de la toute-puissance du désir, l’exaltant même comme la seule réponse à la mort, semble de façon nietzschéenne provoquer la morale du christianisme. Dans un pays où il aurait le même poids politique qu’aujourd’hui l’islam dans certaines nations, à l’évidence cette pièce serait interdite !
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