Amélie Bertrand
par Vianney Lacombe
ROCK AROUND THE BUNKER est la deuxième exposition présentée par la galerie Semiose d’Amélie Bertrand, jeune artiste née en 1985 et déjà remarquée en 2009 au salon de Montrouge. Amélie Bertrand met photoshop au service de sa peinture et elle trouve dans ce logiciel des éléments de textures, de matières, des dégradés qu’il lui est possible d’appliquer à ses paysages de luna-park et de minigolf. Les murs, les barrières, les sols que nous trouvons dans ses tableaux sont des reproductions de faux sols, de faux murs et de fausses barrières, tels qu’ils existent dans les parcs de loisirs pour permettre aux visiteurs de se dépayser au moindre coût. Esthétique de dessin animé et de jouets en plastique pour enfants, cette représentation de fausses architectures est le point de départ du travail d’Amélie Bertrand qui peut ensuite s’appuyer sur photoshop pour trouver de nouveaux aplats, des répétitions d’éléments obéissant à des perspectives aberrantes dans une atmosphère totalement irréaliste. Car ce travail se construit sur l’illusion : illusion proposée aux clients de ces centres de loisirs, qui peuvent ainsi croire qu’ils appartiennent à un monde d’aventures chevaleresques et de compétition. Amélie Bertrand dénonce cette grossièreté en l’habillant de couleurs suaves ou criardes, elle se sert dans sa peinture des couleurs primaires des plastiques utilisés pour la construction de ces décors, elle duplique ses arbres et ses nuages et les replie le long des fractures imaginaires qu’elle impose à ses ciels, tandis que sur le sol le gazon est dégradé de 60% à 100%.
Le travail d’Amélie Bertrand est d’une non- inquiétante étrangeté, puisqu’il met en scène le vide, l’absence. La seule présence réelle dans ces tableaux, c’est la peinture, réalisée avec un soin minutieux à l’huile, avec des caches qui nécessitent des temps de séchage importants entre chaque couche. C’est la peinture, et elle seule qui articule tous les éléments du tableau entre eux, c’est elle qui relie les ciels et les non-ciels pour en faire un bloc de non-lieu de nos existences, une disparition camouflée par des bâches, des créneaux, des donjons et des palissades. Mais cette disparition de nous-mêmes n’est en aucune manière menaçante, puisqu’elle ne fait que constater que notre présence n’est désormais plus nécessaire dans le décor et que l’aventure réelle de la représentation se joue dans un espace configuré par lui-même et pour lui-même avec des outils et une palette électronique qui mettent en scène la banalité de ces lieux désertés. La peinture d’Amélie Bertrand pérennise ces non-lieux d’existence comme le seul espace dans lequel notre disparition reste visible, alors que partout ailleurs cette absence n’est plus remarquée depuis longtemps.
Amélie Bertrand ne montre pas des luna-park, des salles du trône ou des parcours de golf : elle montre le vide que nous laissons au milieu du décor, elle montre le manque de tout ce que nous sommes et l’écrasante présence de tout ce nous ne sommes pas ; elle peint ce qui est inhabitable et que nous habitons tout de même, elle peint ce que nos vies sont devenues sans nous : illusoires et formatées.
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