ID : 61
N°Verso : 67
Les Artistes et les Expos
Titre : Esther Ségal, ou les métamorphoses de l'image capturée dans la chambre noire
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 30/03/2013



Esther Ségal, ou les métamorphoses de l'image capturée dans la chambre noire
par Gérard-Georges Lemaire

Esther Ségal a une tournure d’esprit protéiforme. Elle ne peut concevoir la création – sa création - que sous des formes multiples. Elle se veut tout à la fois écrivain, actrice, photographe et artiste. Peut-être ai-je oublié quelque chose. Et je ne saurais affirmer qu’elle ajoute d’autres cordes à son arc au fil des ans – un arc, qui est une sorte de lyre à la Gustave Moreau, qui s’est changé en une armé que seul Eros a le privilège de manier ! Je me contenterai aujourd’hui de n’évoquer que l’artiste, car c’est l’artiste que j’ai d’abord connue et avec lequel j’ai travaillé pour l’exposition du « Noir absolu ».

L’artiste la photographe ont cependant quelque connivence. Car si Esther Ségal fait des tableaux dans le sens plein du terme, elle ne manie pas les instruments traditionnels du métier. Son seul support est le papier émulsionné. Les clichés qu’elle utilise sont percés avec une pointe d’épingles. Ces trous forment de minuscules bosselures sur la surface de l’œuvre. Elles donnent le sentiment d’une écriture braille. Parfois, quand le fond est obscur, on a l’impression d’une page d’écriture braille, une page qui n’est plus lisible, mais qui se propose comme une feuille de dessin. Chez elle, dans ce cas précis, l’écriture se métamorphose en une suite graphique. C’est une manière de lire moderne de La Lettre sur les aveugles de Denis Diderot. Et nous-mêmes, qui les regardons, ne pouvons pas faire autrement que d’éprouver l’impérieux besoin de les toucher, ne serait-ce que par l’imagination.

Quand on pénètre sans la galerie 2pm13 de la rue Hector-Malot, presque sous une de piles de l’ancienne ligne de chemin de fer de la Bastille, la première œuvre que nous contemplons est une importante série de petites pièces rectangulaires. Elles ont été placées dans des marie-louise par nécessité, mais elles auraient dû en réalité constituer un ensemble recouvrant toute la paroi. Il s’agit de paysages, essentiellement des ciels nuageux. Toutes sont percées par les épingles sur leur revers et présentent donc une surface constellée de reliefs. Cette façon de procéder, maintenant qu’il s’agit d’une représentation, change du tout au tout notre mode de perception de ces clichés : ils nous apparaissent comme des tableaux reliefs qui pourraient n’en constituer qu’un s’ils étaient mis bout à bout. Ce « coup de canif » récurrent et itératif dans l’épaisseur du papier a la faculté de modifier et le « sujet » initial (qui n’est ici qu’un prétexte) et d’y introduire un sentiment esthétique d’un genre nouveau. L’ « image »  n’est pas occultée, mais elle n’a plus lieu d’être car elle n’existe plus dorénavant qu’avec ces trouées infimes. Et il en dérive une beauté indéniable : ce n’est pas un ouvrage « critique » ou transgressif qui en ressort, mais une œuvre qui, en insinuant un autre sens (le toucher), engendre des sensations un peu paradoxales à la fois un peu troublante et plaisante.

 

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