In Memoriam Simon Lane
par Gérard-Georges Lemaire
Tout individu porte en lui un fragment de mythologie. Et toi, plus
encore que bien d’autres.
Je commencerai donc cette histoire,
qui est ton histoire, par une sorte de fable, une légende dans le
genre d’Apulée, mais dans l’esprit de notre temps.
Au commencement était une
demeure bien chaude et accueillante, mais que tu devais partager avec
quelqu’un d’autre. Cette autre personne n’était
autre que ton frère jumeau Guy. Au début, les relations ont
été difficiles et les disputes, nombreuses. Avec le temps et
nécessité faisant loi, vous avez fini par vous apprivoisez
l’un l’autre et l’espace restreint où vous
résidiez ne vous laissait pas beaucoup d’alternative :
ou cohabiter ou vous égorgez l’un l’autre.
L’intimité excessive de cette maison ovoïdale vous a
porté à vous faire des confidences et à titrer des
plans sur la comète. Tout partait d’une passion
partagée et même exclusive pour le signe typographique. Tu
voyais la chose à la manière de Virginia Woolf et de son
mari Leonard : fonder une maison d’édition où
chacun serait à la fois écrivain et éditeur, petite
main et lecteur. Mais Guy ne l’entendait pas de cette oreille. Il se
pouvait s’imaginer autrement que comme éditeur. Et toi, tu ne
voyais pas manipuler des caractères d’imprimerie du matin
jusqu’au soir, les main pleine d’encre, ni faire des paquets
à livrer comme l’auteur d’Orlando. Et puis
l’exemple d’Honoré de Balzac qui s’est
ruiné avec son imprimerie rue de Visconti à Paris ne te
donnait pas trop l’envie de te lancer dans ce genre
d’expérience. Alors tu as décidé
d’être écrivain et rien d’autre au monde. Mais Guy
se récria aussitôt qu’avec la prose que tu allais
écrire, la maison ne pouvait que courir à sa ruine. Un
compromis fut trouvée au huitième mois : Guy ferait bel
et bien la maison d’adition et Simon serait l’auteur exclusif
de cette entreprise familiale à titre d’essai.
Les mois les années ont passé depuis la naissance de ce couple zygomatique. Je vous passe l’enfance anglaise, les années d’études : prenez n’importe quel romancier anglais du XIXe ou du XXe siècle et vous saurez en gros ce qui s’est déroulé. Simon s’est mis à écrire et Guy, avec beaucoup plus de pragmatisme, a fondé sa maison d’édition. Tout s’est passé comme prévu et Simon y a faut paraître ses premières œuvres de fiction. Mais, après ces débuts prometteurs, la réalité rattrapa les jumeaux : le contrat était merveilleux dans la sphère du ventre maternelle, mais dans la réalité, il s’est révélé désastreux. Et plus l’un tendant de s’ancrer dans le concret, plus l’autre allait dans les nuées où sa fantaisie le conduisait. La rupture était inévitable. Cet éloignement qui s’est produit si vite n’a pas entamé l’affection qui les liait si étroitement, mais leur collaboration pouvait la mettre en danger. Alors chacun est allé dans sa direction. Et c’est pourquoi j’ai connu Simon.
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