In Memoriam Simon Lane
par Gérard-Georges Lemaire
Ici débute une autre histoire, qui ne ressort pas du mythe classique, mais qui pourrait sembler une pure invention de l’imagination. A New York où j’allais souvent à l’époque, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme rousse qui était écrivain et qui exerçait la noble profession de maîtresse. Quand elle revenait de son donjon et après avoir fouetté, insulté, humilié, maltraité les figures importantes de Wall Street rentrait chez elle et nous parlions de littérature quand elle ne pleurait pas. Simon avait commencé sa vie errante, comme tous les écrivains anglo-saxons qui ne pouvant faire leur chemin sans le sweet home britannique. New York lui semblait le meilleur endroit où tenté sa chance à l’époque. Elle lui a parlé de moi. Un beau jour, je vis devant moi un jeune Anglais habillé de manière tout à fait digne de Burlington Arcade, élégant, mais sans excès, qui désirait instamment me rencontrer. Il m’a expliqué comment il était arrivé jusqu’à moi. J’ai compris tout de suite qu’il était habité par une curieuse contradiction : d’un côté, il souhaitait que je le pris au sérieux comme un écrivain tout à fait respectable et, de l’autre, il se comportait sur un pur mode excentrique – l’Angleterre étant le seul pays au monde à pouvoir produire cette race d’homme (ou de femme), car les fous, les furieux, les enragés, les déréglés, les pervers, les insensés, les montés du col et les mégalomanes, toutes les autres nations étaient capables d’en enfourner des quantités énormes. Des excentriques au sens plein du terme, non. Il y avait en lui une étrangeté qui n’était pas vraiment inquiétante, ni d’ailleurs rassurante, mais qui exerçait sur moi son pouvoir de fascination.
Je dois sauter quelques chapitres et en arriver au moment où nous étions devenus des amis per la pelle, comme disent les Italiens. Nous avons peu voyager ensemble – je me souviens quand nous sommes allés ensemble rendre visite à ses parents à Birmingham (c’est là qu’il vit le jour) qui était impatient de me connaître et qui dormaient tous les deux comme des bienheureux à notre arrivée ; je me souviens aussi du périple que nous avons fait à Plymouth ou quelque autre port du sud de l’Angleterre, pour voir partir sous la pluie battante un beau navire à voile qui devait faire le tour du monde et qui, une fois que nous avions tourné le dos, sombra sans attendre ; enfin, je me rappelle cet après-midi où il m’emmena assister à un match de cricket : il pleuviotait (les Britanniques ont toutes sorte de noms pour qualifier le genre de pluie – celle-ci était très fine, froide et pénétrante) : je ne saisissais rien à ce qui se passait, je ne voyait d’ailleurs pas très nettement les joueurs les plus éloignés ; rien ne semblait bouger et je finis par comprendre qu’une partie durait le temps indispensable pour attraper une pneumonie ; ce spectacle, nous l’évoquions chaque que nous nous retrouvions ! En revanche, nous nous sommes vus dans plusieurs villes d’Europe, surtout Londres, Paris et Milan.
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