Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
par Giancarlo Pagliasso
Devant le centre Pompidou de Paris, les passants se font photographier à côté d’un groupe sculpté très particulier : l’œuvre en bronze, haute de plus de cinq mètres intitulée Coup de tête (20111-2012), qui représente le moment où Zidane frappa d’un coup de tête Materazzi pendant la finale de football de 2006. Ce monument à un mythe culturel et sportif de notre époque sert d’introduction à l’exposition de l’artiste : Je suis innocent » qui a été présentée entre le 3 octobre 2012 et le 7 janvier 2013.
La poétique de
l’artiste franco-algérien est une sorte de reconnaissance
« esthétique » des manifestations de la
violence en termes anthropologiques et socio-historiques. A
l’intérieur de ces données, qui n’excèdent
pas en vérité les limites du politically correct,
les comportements destructifs, conflictuels et crûment
immédiats sont catalogués selon les termes post-néo-
conceptuels de la citation, à la tradition figurative de
caractère réaliste (de la fin du Moyen Age au romantisme) et
organisés, ne serait-ce que par la diversité des supports
qui distingue son œuvre, avec un esprit quelque peu décoratif
et équilibré.
Pour en revenir à
Coup de tête, l’artiste a projeté dans la
troisième dimension la photographie du moment crucial du
célèbre coup de boule du footballeur, en accentuant
l’élément dynamique qui, sans vouloir gêner comme
l’a écrit un commentaire Pollaiolo ou le Bernin,
confère une aura plus dramatique à l’action impliquant
les deux champions de l’imaginaire populaire des supporters.
L’emphase, suggérée par la grande échelle des
personnages, est le support sculpté, stable et impérissable,
d’une mémoire future de l’appropriation de
l’image fugace des médias.
A bien y regarder
pourtant, la dignité mnésique de
l’événement a déjà été
élevée à un niveau « épique »
dans une optique littéraire (c’est-à-dire au-
delà de la soupe médiatique habituelle) dans le livre de
Patrick Amine, Petit éloge de la colère (Gallimard,
2008), où Zidane assume les traits emblématiques
d’Achille, le héros en colère par antonomasie.
Abdessemed semble, consciemment ou non, vouloir s’approprier lui
aussi cette dimension cultivée de la représentation du
violent et « fatal » coup de tête en le
transposant dans le contexte des arts plastiques.
Après cet introït initiatique, une sorte
d’assist au visiteur pour rester dans la thématique
se trouve dans le vestibule du musée quand il se trouve devant
l’œuvre la plus frappante de l’exposition :
Telle mère tel fils (2008). Il s’agit de trois
avions de forme serpentine – assemblés avec des carlingues et
des queues authentiques d’avion et le « corps » en
feutre, aluminium et métal – enchevêtrés les uns
dans les autres. Les mesures (4 x 5 x 27 m) paraissent excéder la
pertinence « esthétique » d’une
œuvre d’ »intérieur » selon le
réalisme faible de Maurizio Ferraris. La référence est
certainement celle du gigantisme pop d’Oldenburg, même si
l’échelle 1/1 est en gros respectée en ce qui concerne
les aéronefs réels. Si on la met en relation avec la
carlingue écrasée de Bourek (2005) exposée
non loin dans la galerie sud, on se souvient de la tragédie du 11
septembre 2001. Cette interprétation semble plus que
légitime par rapport aux intentions de l’artiste. Mais
Abdessemed nous avertit que les choses ne sont pas aussi simples, nous
précisant que l’enchevêtrement des « avions
» reprend les tresses que portait sa mère, le titre de
l’œuvre est donc beaucoup moins métaphorique
qu’on pourrait croire, révélant que cette
dernière est une synecdoque hyperbolique du corps maternel, sur
lequel le petit Adel reversa toutes ses espérances alors que sa
génitrice supportait le poids de la famille pendant le sanglant
conflit entre les intégristes et les « laïcs
» en Algérie et la venue successive de cette famille en
France.
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