ID : 66
N°Verso : 67
Les Artistes et les Expos
Titre : Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
Auteur(s) : par Giancarlo Pagliasso
Date : 30/03/2013


Traduit de l’italien par Gérard-Georges Lemaire

Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
par Giancarlo Pagliasso

Devant le centre Pompidou de Paris, les passants se font photographier à côté d’un groupe sculpté très particulier : l’œuvre en bronze, haute de plus de cinq mètres intitulée Coup de tête (20111-2012), qui représente le moment où Zidane frappa d’un coup de tête Materazzi pendant la finale de football de 2006. Ce monument à un mythe culturel et sportif de notre époque sert d’introduction à l’exposition de l’artiste : Je suis innocent » qui a été présentée entre le 3 octobre 2012 et le 7 janvier 2013.

        La poétique de l’artiste franco-algérien est une sorte de reconnaissance « esthétique » des manifestations de la violence en termes anthropologiques et socio-historiques. A l’intérieur de ces données, qui n’excèdent pas en vérité les limites du politically correct, les comportements destructifs, conflictuels et crûment immédiats sont catalogués selon les termes post-néo- conceptuels de la citation, à la tradition figurative de caractère réaliste (de la fin du Moyen Age au romantisme) et organisés, ne serait-ce que par la diversité des supports qui distingue son œuvre, avec un esprit quelque peu décoratif et équilibré.
        Pour en revenir à Coup de tête, l’artiste a projeté dans la troisième dimension la photographie du moment crucial du célèbre coup de boule du footballeur, en accentuant l’élément dynamique qui, sans vouloir gêner comme l’a écrit un commentaire Pollaiolo ou le Bernin, confère une aura plus dramatique à l’action impliquant les deux champions de l’imaginaire populaire des supporters. L’emphase, suggérée par la grande échelle des personnages, est le support sculpté, stable et impérissable, d’une mémoire future de l’appropriation de l’image fugace des médias.

        A bien y regarder pourtant, la dignité mnésique de l’événement a déjà été élevée à un niveau « épique » dans une optique littéraire (c’est-à-dire au- delà de la soupe médiatique habituelle) dans le livre de Patrick Amine, Petit éloge de la colère (Gallimard, 2008), où Zidane assume les traits emblématiques d’Achille, le héros en colère par antonomasie. Abdessemed semble, consciemment ou non, vouloir s’approprier lui aussi cette dimension cultivée de la représentation du violent et « fatal » coup de tête en le transposant dans le contexte des arts plastiques.
Après cet introït initiatique, une sorte d’assist au visiteur pour rester dans la thématique se trouve dans le vestibule du musée quand il se trouve devant l’œuvre la plus frappante de l’exposition : Telle mère tel fils (2008). Il s’agit de trois avions de forme serpentine – assemblés avec des carlingues et des queues authentiques d’avion et le « corps » en feutre, aluminium et métal – enchevêtrés les uns dans les autres. Les mesures (4 x 5 x 27 m) paraissent excéder la pertinence « esthétique » d’une œuvre d’ »intérieur » selon le réalisme faible de Maurizio Ferraris. La référence est certainement celle du gigantisme pop d’Oldenburg, même si l’échelle 1/1 est en gros respectée en ce qui concerne les aéronefs réels. Si on la met en relation avec la carlingue écrasée de Bourek (2005) exposée non loin dans la galerie sud, on se souvient de la tragédie du 11 septembre 2001. Cette interprétation semble plus que légitime par rapport aux intentions de l’artiste. Mais Abdessemed nous avertit que les choses ne sont pas aussi simples, nous précisant que l’enchevêtrement des « avions » reprend les tresses que portait sa mère, le titre de l’œuvre est donc beaucoup moins métaphorique qu’on pourrait croire, révélant que cette dernière est une synecdoque hyperbolique du corps maternel, sur lequel le petit Adel reversa toutes ses espérances alors que sa génitrice supportait le poids de la famille pendant le sanglant conflit entre les intégristes et les « laïcs » en Algérie et la venue successive de cette famille en France.

 

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