ID : 66
N°Verso : 67
Les Artistes et les Expos
Titre : Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
Auteur(s) : par Giancarlo Pagliasso
Date : 30/03/2013


Traduit de l’italien par Gérard-Georges Lemaire

Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
par Giancarlo Pagliasso

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        Il semble flagrant, à la lumière de ces détails, que le travail de l’artiste fait allusion à l’influence que des événements sanguinaires de l’histoire et de la société ont pu avoir sur des destins individuels.
        L’installation Hope (2011) est sur le même registre, même si son expressivité est moins réussie. Elle se présente comme une grande embarcation suspendue dans l’air avec des câbles. Elle est remplie (en principe) de sacs noirs pour les ordures. Elle renvoie sans doute à la situation de l’émigrant que l’artiste a connue (pendant son enfance, car il est ensuite allé aux Etats-Unis comme artiste déjà confirmé). La dimension sociale de l’émigration est rendue par une solution herméneutique du travail, rendue, pour dire les choses simplement, par la similarité entre la valeur presque inexistante des déchets et la vie de ces pauvres hères qui s’embarquent sur des radeaux de fortune, improvisés par des organisations criminelles. Hope est presque comme une Arche de Noé contemporaine à la dérive, en voyage vers l’espérance, et qui ne paraît laisser transparaître d’autres significations. Le rapprochement (peut-être voulu par l’artiste) avec Le Radeau de la Méduse de Géricault que certains ont pu avancer me paraît un peu exagéré. En effet, l’œuvre d’Abdessemed ne parvient pas à susciter le pathos métaphysique du sublime dynamisme qui parcourt le chef- d’œuvre du maître français.
        Les reproductions en terre cuite de carcasses d’automobiles, qui gisent dispersées au centre de la grande salle de la galerie, caractère résolument « socio-politique » , qui se traduisent déjà dans le titre Practice Zero Tolerance (2006) qui se réfère aux désordres et à la guérilla urbaine pendant la révolte des banlieues parisiennes. Ici, une redondance légitime est présente et s’étend aussi aux résultats de la guerre du Moyen-Orient, surtout en Irak et en Afghanistan.
        Pour présenter les vidéos de l’artiste, qui ont parfois des contenus scandaleux, un couloir séparé a été construit où les spectateurs peuvent accéder après avoir été averti des contenus qui pourraient le perturber.
        En laissant de côté Pressoir, fais-le (2002), avec le loop d’un pied qui écrase un citron pourri, suggérant au visiteur italien le traitement réservé aux contribuables de la part de notre gouvernement vacillant plutôt que la métaphore du jeu du talion dictatorial, quelques considérations s’imposent à propos du rôle des animaux dans son œuvre.
Il est évident que, comme un La Fontaine désenchanté, l’artiste les utilise dans les films dans un esprit moraliste pour stigmatiser les comportements humains. Il est néanmoins difficile de séparer l’évidence de snuff movie de toute autre intention véhiculée par un produit tel que Usino (2008), où des exemplaires combatifs comme les chiens pitbull, les serpents, les tarentules, les scorpions et les coqs s’affrontent mortellement avec des crapauds et des iguanes dans l’espace exigu où ils sont renfermés.
        Lise (2011) mérite un examen majeur : elle montre l’allaitement ou pour le moins la succion d’un porcelet au sein d’une femme. La scène est du niveau d’un oxymore construit sur le choc provoqué par l’intimité dévoilée au public, se prêtant de toute évidence à diverses lectures. La plus évidente et immédiate est celle de la zooérastie (la violence sexuelle pratique par les hommes sur les animaux), s’appuyant sur les statistiques croissantes dans les pays occidentaux, et puis celle de Circé avec la frontière mythologique de l’éros (l’artiste a souligné de vouloir donner forme à ses propres rêves). Dans cette perspective, l’œuvre ne serait que la visualisation sans fard de la position freudienne sur la perversité polymorphe de l’enfant.

 

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