Le prisme des couleurs fauves
par Gérard-Georges Lemaire
Depuis longtemps, la peinture abstraite a été jugée désuète, sinon complètement dépassée. Et pourtant, elle continue à exister. Elle a désormais un siècle d’existence. Elle s’est diversifiée, a connu des hauts et des bas dans l’histoire de l’art moderne, connaissance une formidable renaissance après la Seconde guerre mondiale à New York, à Paris, à Milan. Bien qu’on ait annoncé sa disparition, comme d’ailleurs toute forme de peinture, elle n’en a pas moins poursuivi son aventure, souvent par d’autres moyens. La monochromie, par exemple, qui semblait avoir épuisé toutes ses ressources et trouvait symboliquement son accomplissement avec Pierre Soulages et ses Outrenoirs, a vu depuis les années soixante-dix son langage se renouveler avec des artistes tels que Pino Pinelli, Umberto Mariani, Giampiero Podestà, Massimo Arrighi. Et cet au-delà de la monochromie a été accompagné par un renouveau de l’art abstrait issu de l’Ecole de Paris, par exemple grâce à Albert Bitran. Ce ne sont là que quelques exemples dans une constellation qui n’a de laisse de produire de surprenantes propositions plastiques dépassant largement ses deux grands pôles, « lyriques » et « géométriques ».
C’est un livre qui a donné véritablement naissance à l’abstraction. C’est l’œuvre d’un grand historien et théoricien de l’art allemand, Wilhelm Worringer (1881-1965), qui a publié en 1907 un livre qui a fait date, Abstraktion und Einfühlung : ein Beitrag zur Stillpsychologie. Cette étude, largement inspirée par Alois Reigl, s’attache à analyser la naissance des formes par simplification aux sources de la création artistique. Il a été lu dans une optique moderne et transposé dans la sphère de l’art d’avant-garde. On a attribué un peu rapidement à Worringer la naissance de l’expressionnisme allemand, ce qui est largement excessif, mais n’est cependant pas sans fondement. Il a en tout cas influencé l’historien Paul Ernst dans son Kunst und Künstler, Vassili Kandinsky pour son Spirituel dans l’art, paru en 1911, et le critique d’art Carl Einstein. Et ses développements spéculatifs ont très bien pu ouvrir la voie à des considérations qui n’intéressaient plus uniquement les arts dits primitifs, mais l’art moderne dans son ensemble.
L’ambiguïté fondamentale de la naissance de l’art abstrait, qui peut se lire déjà dans les tableaux africains de Kandinsky, nous oblige à considérer qu’il n’y a plus eu de fracture nette entre ce qui était considéré comme étant figuratif et ce qui ne l’était pas. Des artistes, comme l’Uruguayen Joaquin Torres Garcia (1874-1949), pour ne prendre qu’un des membres les plus représentatifs du groupe Cercle & Carré, n’ont pas hésité à passer sans la moindre difficulté d’œuvres figuratives à des œuvres abstraites. Il suffit d’ailleurs d’observer de quelle façon Pablo Picasso a joué sur tous les registres figuratifs pour comprendre que ces classifications appartenaient à une dimension ancienne de la peinture.
1 2 3 suite
- Une incroyable capacité à créer de l'inattendu
par Jean-Luc Chalumeau - Biographie de Catherine Lopes Curval
- Amélie Bertrand
par Vianney Lacombe - Esther Ségal, ou les métamorphoses de l'image capturée dans la chambre noire
par Gérard-Georges Lemaire - Adel-Abdessemed : Coup de boule à l'art
par Giancarlo Pagliasso - Giorgio De Chirico : dialogue avec la tradition
par Leonardo Arrighi - Sur la neige fraîche en miniature : « hors piste 2013 » au centre Pompidou
par Giancarlo Pagliasso - Le prisme des couleurs fauves
par Gérard-Georges Lemaire
- In Memoriam Simon Lane
par Gérard-Georges Lemaire - Au bar du Chelsea Art Club
par Steve Miller - Juste à la fin de l'année dernière...
par Nathalie du Pasquier - "J'ai du vague à Lane"
par Claude Jeanmart - True rouge
par Simon Lane - Les (in)connus
par Simon Lane - Simon Lane : bibliographie
- Claude Simon : Transtextualité, le dévoilement oblique,
dans Le Jardin des Plantes
par Michelle Labbé