ID : 69
N°Verso : 67
Les Artistes et les Expos
Titre : Le prisme des couleurs fauves
Auteur(s) : par Gérard-Georges Lemaire
Date : 30/03/2013


Le prisme des couleurs fauves
par Gérard-Georges Lemaire

Soly Cissé veut nous introduire sans transition, avec la puissance d’un voyage incendiaire dans son imagination fertile, dans un univers magique. Mais pas de la même façon que l’a fait Wifredo Lam. Les esprits et les figures inquiétantes ou protectrices de ces territoires dont on ne distingue plus que les mouvements syncopés et les teintes ne révèlent pas les divinités d’une culture qui est d’abord une fantasmagorie, mais signale leur présence dans un chaos commençant à prendre forme, justement en ce point précis où la pensée s’extraie de l’informe pour se confronter à des êtres et des choses inconnus. L’Afrique et ses mirages sont métamorphosés ici en métaphores de l’état conflictuel de l’art pictural choisi par Soly Cissé. C’est à l’artiste de nous dire si le continent noir est la clef de son aventure personnelle. Pour moi, c’est d’abord l’Afrique fantôme de mes lectures, des films que j’ai vus, des rêves que j’ai pu faire dans mon enfance après avoir feuilleté un illustré.

Il y a chez le peintre une volonté criante de provoquer une disharmonie et une tension blessante - ses tableaux ne sont pas de tout repos. L’équilibre s’établit que dans une situation paradoxale : plus on pénètre dans son microcosme peuplé de monstres, plus on est conscient de la nécessité de ces grandes confrontations entre ces bleus intenses et ces jaunes stridents et amers. Ce n’est que dans le lent et patient apprentissage des codes et des modes de son langage plastique que l’harmonie se rétablit peu à peu, ajuste son équilibre fragile, sans jamais pourtant effacer la nature virulente et guerrière de son geste et de sa pensée. Et cet art, si dérangeant par définition, comme la peinture d’Edouard Manet a été dérangeante en son temps, est la proposition d’un parcours initiatique où l’inconnu fait peur par définition. Voyons toutes ces créations comme on peut envisager le pari de Pascal. C’est un coup de dé dans l’absolu de la peinture : il faut se jeter dans le vide pour éprouver la matière, les contours, les plans, les êtres, les contrapositions, les déchirements, les accouplements, les cris fauves, qui se conjuguent pour engendrer un paradis exotique, qui se présente comme un lieu dangereux devenu séduisant, aux antipodes de la forêt inventée par le douanier Rousseau...

 

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