ID : 70
N°Verso : 67
Littérature et Photographie
Titre : Claude Simon : Transtextualité, le dévoilement oblique, dans Le Jardin des Plantes
Auteur(s) : par Michelle Labbé
Date : 30/03/2013


Claude Simon : Transtextualité, le dévoilement oblique, dans Le Jardin des Plantes
par Michelle Labbé

         La fiction serait plus confortable mais Stendhal, inventant la marche de Julien Sorel vers la mort, n’écrit que des « fadaises [5]». Il faut lui préférer Dostoïevski qui lui au moins, sait de quoi il parle et écrit sur ce qu’il a vécu [6]. D’un côté, une réalité trop complexe, inépuisable, de l’autre côté un souci de vérité. Claude Simon surmonte les tracasseries administratives du Service historique de la Défense à Vincennes parce qu’il tient à recouper ce qu’il a vécu de témoignages d’archives ; il ne peut d’ailleurs s’empêcher de remarquer les imprécisions, les erreurs des rapports officiels. Cependant, à côté de ce souci extrême de vérité, un autre point le préoccupe, qui s’éloigne de la vérité avérée : l’adhésion du lecteur. Il renonce, dans son scénario final, à ce que les cavaliers enduisent leur casque de boue comme ils le font dans la réalité, pour des raisons de vérité artistique: non seulement ce qui est vrai risquerait de paraître invraisemblable mais il s’agit de souligner ce qui fait l’essence de cette évocation, l’extrême vulnérabilité des derniers soldats dont les casques brillent au soleil, les révélant à l’ennemi. L’interview du journaliste qui prend place dans Le jardin des Plantes n’est pas plus vraie ; elle est la synthèse de plusieurs interviews réelles, pour les mêmes raisons de vérité artistique et d’efficacité littéraire, liée à la réception.
         Il semble donc qu’il faille dépasser l’idée de représentation fidèle du vécu pour une autre conception de la relation entre le réel et l’oeuvre, peut être à chercher du côté du référent et de l’usage que l’auteur en fait.
         Le colloque de Cerisy de 1971 sur le roman −Claude Simon se sert des « Actes » du colloque­− est rapporté avec quelque humour. On y parle, dès les premiers jours, de ce que Claude Simon a montré : outre quelques billets de banque, la lettre à lui adressée par le colonel C. qui atteste que le récit de l’épisode de la débâcle de 1940, raconté en particulier dans La Route des Flandres, est « fidèle dans le plus petit détail [7]» à la réalité et fonctionne donc comme référent incontestable au récit. Les participants du colloque ne se préoccupent pas de l’intérêt de l’œuvre mais, considérant les pratiques devenues dogmes du Nouveau Roman, s’interrogent sur la possible hérésie de l’auteur qui aurait cédé à un penchant −impardonnable !− « vers un certain passé référentialiste [8]». Alain Robbe Grillet répond à l’indulgence d’un intervenant : « Il n’en reste pas moins que C.S. nous donne constamment ses référents. (...)Donc, il faut bien croire que S. accorde aux référents une importance supérieure à celle que font les autres romanciers de cette réunion.[9] ». Ce qu’atteste Robbe Grillet dans une interview de 1997 intitulée  Nous étions tous des terroristes: « Quant à Simon, il accordait en général au référent « réel » une importance primordiale... [10]» Cependant à la permanence du référent s’oppose la variation de ses apparitions à travers l’écriture, comme le confirmera plus tard Claude Simon. « Selon la formulation choisie, ce n’est pas la même chose qui est dite [...] pourtant le « référent » est dans chaque cas le même.[11] » Ainsi le scénario qui clôt Le Jardin des Plantes dit autre chose que la part romanesque qui le précède et pourtant ils touchent aux mêmes moments.
         Il semble que pour Claude Simon, qui considère les règles du Nouveau Roman comme aussi castratrices que celles du Réalisme ou du Naturalisme, un référent, une plongée dans la sensation vécue, une pratique proche de l’hypotypose soient nécessaires à la création et à l’acquiescement du lecteur, quitte, comme ceux qu’il admire : Proust, Dostoïevski, Faulkner à utiliser ce référent dans une création qui fraie avec l’autobiographie sans s’y assimiler. Ecrire, c’est explorer sa vie puis en jouer sur la page. L’écriture devient une reconfiguration du réel.

[5] Le Jardin des Plantes, La Pléiade, Gallimard, 2006 (pour l’œuvre de Claude Simon, toutes les citations y seront prises.) p.1118.
[6] p.1124.
[7] p.1161.
[8] p.1163.
[9] 1162−1163.
[10] Alain Robbe Grillet, « Nous étions tous des terroristes », propos recueillis par Jean Louis Ezine,  Le Nouvel Observateur  du 18 au 24 septembre 1997.
[11] Claude Simon, entretien accordé à M. Calle ­Gruber en 1993 dans M. Calle Gruber, Le Grand Temps, 2004,et M.Calle Gruber, Claude Simon, « Complément d’information» http://sens-public.org/spip.php?article622 consulté le 16−10−2012 (Crochets, italiques et guillemets de M. Calle Gruber)

 

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