La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire
Ferdinand Hodler, Fondation Beyeler, 212 p., 62,50
FS.
Il y a au moins deux hommes en Ferdinand Hodler (1853 -1918) dans une singulière contradiction : tout d’abord, celui que l’on voit dans les bâtiments publiques avec ses grandes peintures murales, presque académique, et qui nous relate l’histoire de la Suisse au fil des siècles, avec talent d’ailleurs et une force indéniable, mais sans autre audace que celle de son pinceau vigoureux, soucieux du détail, respectueux de la gravité de l’événement immortalisé et de la noblesse de la geste helvétique. C’est un peintre officiel qui a laissé à son pays une quantité importante d’ouvrages de ce type. Et il y a un autre Hodler, d’abord proche du réalisme de Courbet dans sa jeunesse (une influence qu’on retrouve dans Mère et enfant, 1885), puis intéressé par les travaux de Puvis de Chavannes et enfin touché par la grâce de l’impressionnisme, qu’il n’adopte pourtant pas. Mais ce cheminement l’a conduit à une nouvelle contradiction : entre le symbolisme, qui le rapproche d’un Segantini par exemple, avec, par exemple, son Elu (1893-1894) ou sa Communion avec l’infini (1892). Cet aspect de sa recherche est suffisant pour en faire un grand peintre de son temps. Mais ce sont ses paysages, d’une autre facture encore, beaucoup plus élaborée, qui le rendent digne de rester à jamais présent dans nos musées et surtout dans nos cœurs. Il privilégie la relation des lacs, de montagnes et des ciels, souvent couronnés de nuages aux formes insolites. S’il est loisible de contempler de tels nuages blancs au -dessus de ces grands plans d’eau et de ces sommets en Suisse, ils sont disposés pour donner naissance à une fine et prégnante étrangeté. Il y a un dépouillement remarquables et une déclinaison de bleus d’une beauté rare. Hodler nous révèle ce qu’il recèle en lui de plus fort et de plus secret, l’âme d’un artiste qui observe le réel, l’absorbe et le restitue non tel qu’en lui-même, mais à travers le prisme d’une interprétation sensible et poétique. Mais sans la moindre afféterie, sans poses, sans chiqué. Une pureté de pensée et une pureté plastique, qui se renouvelle sans cesse car de ces vues, il a réalisé de nombreuses toiles, qu’on a eu le bonheur de voir au sein de l’exposition de la fondation Beyeler de Bâle et qu’on peut retrouver dans le beau catalogue édité à cette occasion. Dommage qu’on l’ignore en France et qu’on ne fasse pas venir cette exposition dans notre hexagone où l’on voit sans les mêmes choses. Au fait, elle va être ensuite présentée à la Neue Galerie de New York...
Reinhoud, catalogue raisonné, sculptures 1993-
2000, Nicole d’Haese, préface de Marcel Moreau,
Gallimard, 320 p., 76,50 €
Tout le monde pourra, comme moi, être surpris de voir apparaître la figure de cet artiste belge, Reinoud d’Haese, disparu en 2007. Il a été l’ami d’Alechinsky et de Christian Dotremont. Mais cela n’a pas fait de lui un artiste du mouvement COBRA. Son œuvre est imposante, en nombre. Mais elle est souvent proche de la bande dessinée et représente une version belge d’une figuration libre assez décourageante pour l’œil comme pour l’esprit. Beaucoup de ses personnages et des ses animaux représentent à des figures des bandes dessinées japonaises. Dire que c’est mieux ou pire d’Hervé ou de Buddy di Rosa serait un problème d’école assez insoluble. Ce qui est intriguant est de comprendre que cet homme avait un grand savoir faire, non seulement dans l’art de la sculpture, mais aussi dans les arts appliqué. Il avait un grand savoir-faire et des sujets particulièrement insipides ou d’une naïveté trop excessive. L’art de ces dernières cinquante années me fait souvent songer à un gigantesque hold-up : on vole aux autres, ceux qui ne sont pas des artistes, ce qu’ils possèdent (je parle des enfants, des fols, des aliénés, des facteurs Cheval, des gamins des rues). Tout est bon pour sauver l’art du marasme où il a bien voulu se retrouver. Les marchands ont été les plus acharnés dans cette affaire et le sont encore. Et les collectionneurs se repaissent d’un art délibérément idiot quand il n’est pas sot ! C’est ainsi qu’on a créé Basquiat et Combas, et puis Jeff Koons et le reste. C’est pathétique. Séraphine, à côté d’eux, semble géniale. Le facteur Cheval reste un maître de l’architecture improbable. Il avait en tout plus d’imagination que Pei. Quand à Reinoud, il y a de forte chance pour qu’on l’exhume avec solennité pour en faire le chef de file d’une école de l’art animalier des pauvres d’esprit. Après tout, Louise Bourgeois faisait bien des araignées.
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