Les (in)connus
par Simon Lane
Connu aux yeux de Dieu, inconnu aux yeux du diable. Bon, ce n’est pas vrai, bien sûr, mais, comme Fernando Pessoa le disait, « Dieu est bon, mais le diable n’est pas mal non plus. » Nous tous, nous sommes donc égaux, nous les (in)connus, même si, selon un autre poète défunt, Oscar Wilde, «quelques uns sont plus égaux que les autres.» La mort c’est quand-même une sacrée distinction si l’on a envie de faire des distinctions, plus importante même que la célébrité ; après tout, il vaut mieux être inconnu et vivant que l’inverse, « l’inverse » étant la catégorie la plus inconnue de tout. Est-ce que la vraie distinction se fait entre ceux qui sont bénis par l’attention capricieuse de google.com et les autres, condamnés à rester ignorés par cette immortalité virtuelle ? John Keats a suggéré dans son poème « On Fame » (« De la célébrité ») que des poètes doivent rembourser la célébrité par le mépris En tout cas, l’ambition d ‘être connu normalement mène à la déception, comme saint Augustin l ‘a promis : « Le chagrin est plus provoqué par les rêves accomplis que par les rêves sans réponse.»
Clive Dunn est quelqu’un dont les rêves ont été réalisés avec bonheur. À l’âge de quatre-vingt-cinq ans, Clive reste ce qu’il a toujours été, un homme de théâtre. Il a deux visages, l’un pour ironiser sur le monde, l’autre pour ironiser sur son propre compte. En effet, c’est l’un des Anglais vivants les plus illustres, reconnu partout dans les îles britanniques et aussi dans des colonies de tourisme comme l’Algarve, au Portugal, ou il réside depuis vingt ans. Ses compatriotes-touristes, tatoués, bronzés - ou plutôt rosés - ne se lassent pas de l’approcher pour le saluer. Et il aime ça. Il pose pour une photo, il fait une blague, il serre la main d’une de ses fans et le sourire qu’il lui offre suggère une autre réponse à celle proposée par John Keats : la gratitude.
Si Clive sourit en face de son succès médiatique, il le faisait pendant toute sa vie, même dans des circonstances moins favorables. Né dans une famille du music-hall et du burlesque, il a souffert d’une rupture inattendue dans sa carrière d’acteur provoquée par les machinations diaboliques de M. A. Hitler. Clive resta quatre ans son invité en Autriche où il recevait de temps en temps des colis de la Red Cross avec de la marmelade ou des pantalons trois fois trop grands. Dès lors, on vit en lui un homme de gauche. Ce n’est pas une coïncidence si son immortalité sera confirmée trente ans plus tard par son rôle dans la série culte de la TV « Dad’s Army, » où il jouait le caporal Jones, ancien combattant qui faisait partie d’un groupe de volontaires - des soldats amateurs bien excentriques - chargés de défendre la côte sud de l’Angleterre. C’était une comédie bien à l’anglaise qui transformait la tragédie imminente de l’invasion en farce. Jones était d’une bonne volonté bien inutile, drolatique, alors que Clive devint une star.
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