Le défi du Jazz
par Francis Hofstein
De nombreux peintres n'en ont pas moins, avec des fortunes diverses, pris le jazz pour objet de leur peinture, qu'il s'agisse de le servir ou de s'en servir, sans autre légitimité que le désir de peindre. Parfaitement recevable, puisque le sujet de la peinture n'est autre que le peintre dans son rapport à une réalité qu'il lui faut inventer dans l'espace où il la propose à sa manière, dans l'espoir qu'à la fois elle lui ressemble et trouve résonance et signifiants dans le monde des vivants.
C'est là qu'il faut oublier le jazz et la peinture sans jouer l'ignorance ou l'inculture, la naïveté ou la fausse distance - nous avons le vocabulaire, les mots et la grammaire pour saisir les formes, la couleur et les intentions de Michel Tyszblat, et lui passer les menottes de notre science au lieu de l'accueillir comme un visiteur bienvenu. C'est là qu'il faut lui faire place, confiance et crédit et, bien qu'on connaisse la musique, se laisser regarder par l'offre d'une peinture où il vient à peine d'accepter le jazz.
Pas de trait. Une explosion au cœur de la toile et la couleur s'élance, centrifuge et certaine, en un ensemble décidé à dire le concert du jazz, peinture à bâtons rompus aux rouges, aux bleus et aux jaunes entiers où, comme l'écrit Mallarmé, « l'art jaillit incidemment, souverain, de la vie communiquée à des surfaces impersonnelles ››.
Michel Tyszblat n'en a pas moins la modestie des certitudes qui l'ont fait peintre et des incertitudes qui le font pianiste de jazz. Il peut ainsi, sans avoir l'air d'y toucher, aller aussi bien où il connaît que là où il ne connaît pas, son savoir à son service, pratiquant ainsi une peinture de frontière, comme lest, entre le bruit et le chant, la musique, et peut-être plus particulièrement le jazz, marqué par un inachèvement originel qui le laisse ouvert, toujours à reprendre, à recommencer, à rejouer entre semblable et différent, dans une répétition qui ne l'use pas.
Musique, il est rigueur, architecture, exigence et il ne supporte pas l'approximation. Peinture, il n'est rien s'il n'est pas convoqué, texte ou prétexte, idée ou image, axe ou nuage, par un peintre désireux de l'incorporer à son geste, et soucieux de donner son rythme à un ensemble dont tous les éléments présents s'offriraient au regard, au sens et à l'attention comme autant de moyens d'improvisation donnés à l'œil pour inventer dans l'immobilité des formes le mouvement de l'écoute d'un air du jazz.
Pour le dire, les mêmes notes et les mêmes couleurs, franches ou altérées, finies, définies et infiniment recomposables. Pas d'autre butée que les limites propres à l'objet et au compositeur, qu'il travaille dans l'immédiat, l'impulsion, l'improvisation et l'espoir du hasard heureux, ou dans l'idée du mouvement, la représentation préalable, l'illusion de l'objectivité. Et les mêmes mots, rythme d'un tableau, couleur d'un thème, d'une mélodie, ce bleu d’un blues auquel est déniée la gaieté, pour raconter ces arts inconciliables quand ils ne se rencontrent pas dans une seule et même personne, Michel Tyszblat en l'occurrence. Alors qu'il lui « a toujours été impossible de représenter la musique en peinture ››, écrivait-il dans L'art du jazz 2011, notamment par méfiance envers la figure imposée de l’instrument de musique et la facilité du recours aux scansions géométrisantes, il s'est enfin décidé « à transgresser ce tabou ›› et à affronter le défi, exaltant, de la représentation du jazz et de son mouvement.
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- Tyszblat ou l'équilibre instable
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