ID : 94
N°Verso : 68
La chronique d'Amélie Adamo
Titre : Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
Auteur(s) : par Amélie Adamo
Date : 24/07/2013



Gérard Schlosser. Les dessous du sensible.
par Amélie Adamo

Par cette figuration critique, l’œuvre de Schlosser transcende la réalité banale en rendant sensible la perception d’un infiniment plus grand. Moderne, au sens baudelairien, il sait tirer le transitoire vers l’éternel et reconstruit une mythologie quotidienne où la banalité se charge d’une dimension symbolique.
Révélant la sensualité des formes et re-érotisant le corps du Réel, la peinture de Schlosser réanime le désir dans les dessous du familier et réimprime une sorte de sacralisation dans le rapport vivant au corps et à l’amour, ouvrant sur une perception sensorielle et temporelle bouleversée. De même dans sa peinture, la figure est réinscrite dans un rapport interpénétrant avec la nature. Celle-ci redevient une mythologie. La nature comme corps, qui rendait jadis sensible un dialogue avec le monde des Dieux, renvoie ici à un état de contemplation et d’immanence entre l’homme et l’univers. Immanence qui ouvre à nouveau sur une forme de transcendance et d’absolu où mystérieusement la banalité se transmue en fragment d’éternité.
            La peinture de Schlosser enfin, met à nu les corps comme histoires. Chaque motif est décliné, comme une variation, dans une partition narrative. A l’instar des titres, qui souvent ouvrent la temporalité de l’image (avant, après). En orchestrant cette partition,  dont la consonance sera tantôt sombre tantôt joyeuse, Schlosser déniche dans les recoins intimes du présent la présence sous jacente d’un destin en marche. Destin qui, de tableau en tableau, entre drame et amour, rencontre et disparition, se déploie tel un récit dans l’imaginaire du spectateur.

II- L’histoire de Main et Madame Pomme.

            Ca arrive vite.
            Début Juillet, vers midi. Ou peut être un peu avant. Dans une chambre, à Paris. Il y a eu bagarre de draps la nuit dernière. Il était bon le vin.
C’est au réveil qu’il aurait du filer. C’est ce qu’il fait d’habitude. Il préfère toujours s’éclipser avant de mettre un nom sur le visage des belles. Et puis, la tête encore embrumée par les vapeurs d’alcool, il ne déteste rien de plus que de devoir poliment bavasser.
            Il aurait dû s’habiller et partir donc. Mais là, allez savoir pourquoi, voilà qu’il se grille une dernière cigarette et matte la blonde encore endormie.
            Il n’y avait pas de lumière chez elle. Entre les rideaux mal tirés, seul un rayon de soleil perçait de la fenêtre au lit. La fente n’éclairait qu’un bout du corps allongé, des seins tendus au sexe nu : apparition magique dans le décor banal de cette pièce sombre. Elle rêvait à l’on ne sait trop quoi. Et puis dans son sommeil, madame se mit à chanter doucement, d’une voix suave, voluptueuse. Et là, comme si sa main obéissait au rythme de sa bouche, elle fit danser les poils de sa toison humide, les enroulant d’un geste doux et lent. Puis, comme les horloges battant au rythme de ses doigts, le temps se mit à tournoyer très lentement et mourut un instant d’un langoureux vertige.

 

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